La majoration des délais d’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme

CE, 24 octobre 2023, n°462511, Lebon

Par l’arrêt ici commenté, le Conseil d’État étend aux courriers de majoration des délais d’instruction notifiés aux  pétitionnaires d’une demande d’autorisation d’urbanisme la solution qu’il a récemment retenue pour les courriers sollicitant des pièces complémentaires (CE, Sect., 9 décembre 2022, Commune de Saint-Herblin, n°454521, Lebon).

Il en ressort qu’une modification du délai d’instruction notifiée après l’expiration du délai d’un mois prévu à l’article R*423-18 du code de l’urbanisme ou qui, bien que notifiée dans ce délai, ne serait pas motivée par l’une des hypothèses de majoration prévues aux articles R*423-24 à R*423-33 de ce code, n’a pas pour effet de modifier le délai d’instruction de droit commun à l’issue duquel naît un permis tacite ou une décision de non-opposition à déclaration préalable.

Le Conseil d’État abandonne par ailleurs le principe issu de la jurisprudence CE, 22 octobre 1982, n°12522, Lebon en vertu duquel le courrier informant d’une majoration des délais d’instruction est un acte faisant grief. L’arrêt commenté indique ainsi expressément qu’un tel courrier ne peut pas faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. En outre, un refus de permis n’est pas pris pour l’application de ce courrier. En conséquence, le moyen tiré, par voie d’exception, de l’illégalité d’un tel courrier est inopérant dans le cadre d’un recours contre un refus de permis.

Cependant, l’application de ces nouveaux principes peut paraître délicate lorsqu’il s’agit de déterminer si le courrier de majoration du délai d’instruction entre dans une des hypothèses de l’article R.423-24 à R.423-33 du code de l’urbanisme.

Ce point est essentiel pour déterminer si une autorisation tacite est née.

Or, l’arrêt commenté précise également que « s’il appartient à l’autorité compétente, le cas échéant, d’établir qu’elle a procédé à la consultation ou mis en œuvre la procédure ayant motivé la prolongation du délai d’instruction, le bien-fondé de cette prolongation est sans incidence sur la légalité d’une décision refusant une autorisation d’urbanisme ».

Il peut pourtant sembler difficile, de prime abord, de ne pas examiner le bien-fondé de la majoration lorsqu’il s’agit d’établir si celle-ci entre dans les hypothèses prévues au code de l’urbanisme.

Les conclusions de Madame la Rapporteure Publique D. Pradines apportent un éclaircissement :

« […] vous n’irez pas jusqu’à exiger que la prolongation du délai d’instruction soit bien fondée. Comme Saint-Herblain se limite à un contrôle de ce que la ou les pièces complémentaires sont de celles qui figurent dans la liste limitative fixée par les dispositions réglementaires, sans aller jusqu’à contrôler la nécessité de la pièce au cas d’espèce, vous ne neutraliserez la modification du délai d’instruction que si elle est notifiée après l’expiration du délai d’un mois prévu à l’article R. 423-18 […] ou si elle n’est pas justifiée par la réalisation de l’une des formalités correspondant aux cas de majoration prévus aux articles R. 423-24 à R. 423-33 du code de l’urbanisme. Il suffira, au titre de la motivation requise par l’article R. 423-42, que la lettre désigne de façon précise le fondement de la prolongation ainsi notifiée – pointant l’alinéa précis d’un article précis, car si les cas sont limitativement prévus par le code, ils sont nombreux et résultent de deux niveaux de dispositions.

Vous pourriez également exiger, afin de prévenir les stratégies manifestement dilatoires, que l’administration doive être en mesure de justifier, en cas de contestation, de la réalisation de la formalité correspondant à cette majoration du délai d’instruction. En effet, et toujours sans vous intéresser au bien-fondé de cette prolongation eu égard au projet en cause, elle a été notifiée aux fins de la réalisation d’une formalité, notamment d’une consultation, précisément identifiée. L’administration doit au moins être cohérente avec elle-même »

On notera que dans le cas d’espèce, l’arrêt qui faisait l’objet du pourvoi (CAA Marseille, 20 janvier 2022, n°19MA05787), avait considéré comme suffisamment précis le courrier de majoration qui s’était borné à mentionner que le délai d’instruction était majoré d’un mois « car le " projet est soumis à autorisations ou prescriptions prises par d'autres législations ou réglementations " comme le prévoit l'article R. 423-24 du code de l'urbanisme, disposition qu'il vise mais, sans toutefois préciser quelle consultation serait nécessaire et sur quel fondement ». Cette appréciation n’était semble-t-il pas contestée en cassation.

La Cour avait également jugé que « le caractère erroné du délai d'instruction notifié par l'autorité compétente ne saurait avoir pour effet de rendre le pétitionnaire titulaire d'une décision de permis de construire tacite à l'issue du délai légalement applicable. Par suite, à supposer que le projet de construction n'entrerait ni dans le champ d'application des dispositions de l'article R. 423-24 du code de l'urbanisme, ni dans celui des dispositions de l'article R. 424-2 du même code, la prorogation du délai d'instruction de la demande de permis de construire […] n'a pas eu pour effet » de rendre le pétitionnaire titulaire d’un permis tacite.

Le Conseil d’État confirme l’arrêt, estimant que « la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que le bien-fondé de la prolongation du délai d'instruction était par lui-même sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ».

En conséquence, une décision d’acception tacite ne pourrait pas naître lorsque la majoration des délais a été notifiée dans le délai réglementaire d’un mois et que le courrier précise suffisamment le motif de la majoration qui doit relever d’un des cas énoncés au code de l’urbanisme. Peu importe ensuite si cette majoration était ou non fondée, à charge tout de même pour l’administration de justifier que la consultation ou la procédure ayant motivé la majoration a bien été mise en œuvre.

Enfin, il convient de rappeler que même si la possibilité d’obtenir un permis tacite en raison d’une majoration des délais inopposable est évidemment favorable aux pétitionnaires, il ne faut pour autant oublier que ce permis tacite peut faire l’objet d’un recours par les tiers ou d’un déféré préfectoral et être annulé s’il est irrégulier.