La suppression des délais pour quitter les lieux
L’arrêt commenté considère que le fait de prendre possession d’un logement sans y être autorisé par le propriétaire constitue une voie de fait, même en l’absence d’effraction ou de dégradation des lieux occupés…sauf lorsque les occupants ont été induits en erreur ou abusé sur l’étendue de leurs droit (CA Lyon, 8e ch, 12 mars 2025, 24/04765, Jurisdata n° 2025-004677).
Comment définir la voie de fait ?
1. Rappel des faits et de la procédure :
Une société d’HLM, propriétaire d’un logement, a requis un commissaire de justice aux fins de faire constater les conditions d’habitations et d’occupations. Le procès-verbal de constat fait état que Madame O occupait le logement avec son mari et ses trois enfants en bas âge, après l’avoir visité par l’entremise d’une personne se déclarant mandatée par la société d’HLM, à laquelle elle a payée une caution contre remise des clés.
Par ordonnance de référé du 25 mars 2024, le Juge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire de Lyon a notamment jugé que le délai de deux mois suivant le commandement de quitter les lieux prévu à l’article L 412-1 du Code des procédures civiles ne s’applique pas, et supprimé le bénéfice du sursis à expulsion hivernal prévu à l’article L 412-6 du Code des procédures civiles d’exécution.
Madame O a relevé appel de cette décision.
2. Analyse de la solution de la Cour d’appel
La Cour d’appel de LYON infirme l’ordonnance de référé qui avait retenu que le délai légal de 2 mois et la trêve hivernale ne trouvaient pas à s’appliquer.
En cas d’expulsion, les délais qui peuvent être accordés pour quitter les lieux peuvent être supprimés à certaines conditions. En effet selon les dispositions de l’article L 412-1 du Code de procédures civiles d’exécution, le délai de 2 mois suivant le commandement de quitter les lieux ne s’applique pas lorsque le juge qui ordonne l’expulsion constate la mauvaise foi de la personne expulsée ou que les personnes dont l’expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux à l’aide de manœuvres, de menaces, de voies de fait ou de contrainte. S’agissant du sursis hivernal prévu par l’article L 412-6 du même code, il est également supprimé en cas de voie de fait.
Dans son arrêt, le Juge d’appel rappelle d’une part que la bonne foi se présume et que c’est à celui qui allègue la mauvaise foi de la prouver, et d’autre part que l’absence de titre d’occupation ne se confond avec les circonstances de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte dont la preuve doit être rapportée.
Le Juge d’appel relève que Madame O et sa famille ont été introduites dans les lieux par un tiers qui s’est présenté fallacieusement comme un représentant de la société d’HLM.
A la lumière de ces éléments, le Juge d’appel considère que Madame O ne caractérise ni la mauvaise foi ni la voie de fait des articles L 412-1 et L 412-6 du Code des procédures civiles d’exécution.
Partant, la Cour d’appel rejette les demandes de la société d’HLM qui tendaient à voir juger la suppression des délais prévus par les articles précités.
Remarquons que la notion de voie de fait est sujette à interprétation. Pour la Cour d’appel de Paris, la voie de fait ne peut « résulter de la seule occupation sans droit ni titre » (CA Paris, 5 janvier 2022, n° 21/06704). Pour la Cour d’appel de Toulouse, la voie de fait nécessite « la preuve d’une dégradation ou d’une détérioration des locaux concernés ayant permis l’entrée dans les lieux, imputables aux occupants » (CA Toulouse, 12 juillet 2023, n° 22/03192).
En revanche dans un arrêt de 2015, la Cour d’appel de Lyon a jugé que la voie de fait était caractérisée dans les termes suivants « peu important en la matière que ces personnes n’aient pas éventuellement à forcer la porte d’entrée pour pénétrer dans les lieux, l’irrégularité sanctionnable en la matière n’étant pas obligatoirement caractérisée par une violence physique quelconque mais par une occupation pérenne niant, par la seule présence non désirée des occupants, le principe constitutionnel du droit de propriété selon lequel le propriétaire d’un local à la libre disposition de son bien dans le respect des lois en vigueur » (CA Lyon, 31 mars 2015, n° 14/01543).
Dans des décisions postérieures, la Cour d’appel a confirmé que le fait de prendre possession d’un logement sans y être autorisé par le propriétaire constituait incontestablement une voie de fait, même en l’absence de d’effraction ou de dégradation des lieux occupés…sauf lorsque les occupants ont été induits en erreur ou abusé sur l’étendue de leurs droits (CA Lyon, 3 avril 2018, n° 17/08397 ; CA Lyon, 14 novembre 2017, n° 17/03898 ; CA Lyon, 30 juin 2020, n° 19/06727).
Dans le prolongement de ces décisions, ces circonstances exclusives d’une voie de fait – à savoir des occupants induits en erreur – ont été retenues en l’espèce par cet arrêt infirmatif qui a pris en compte le fait que les occupants avaient été victimes d’une personne se faisant passer par un représentant du bailleur.
La Cour ne retient pas davantage la mauvaise foi en rappelant que la bonne foi est toujours présumée et que c’est à la bailleresse de démontrer la mauvaise foi. En l’occurrence, le règlement d’aucun loyer ou d’aucune indemnité d’occupation ne suffit pas à caractériser la mauvaise foi, la bailleresse ayant fait preuve de négligence, en laissant perdurer la situation sans rien réclamer aux occupants.
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