Mandat social et contrat de travail : renonciation n’est pas démission
La présente décision de mai 2022 (Cass.soc., 18 mai 2022 n°20-15.113) rappelle un principe important : si le contrat de travail préalable ne peut être cumulé avec le mandat social, le contrat de travail est simplement suspendu. Cette suspension n’est pas équivalente à une démission, sauf déclaration claire et non équivoque de la part du salarié.
Un salarié, d’abord engagé par une société en 1970, a ensuite été nommé en tant que mandataire social de la société. Après 27 ans de mandat social, il a été révoqué et a saisi la juridiction prud’homale pour obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société et la condamnation de celle-ci à lui payer diverses indemnités de rupture, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et les salaires jusqu’à la date de la rupture du contrat de travail.
La société n’avait pas procédé à son licenciement car elle considérait qu’il n’était plus salarié de la société depuis sa nomination en tant que directeur général en 1990. Le jour du conseil d’administration actant de sa nomination, le salarié avait déclaré « renoncer au bénéfice de son contrat de travail et ne plus être rémunéré au titre de ce dernier ».
La question se pose de savoir si cette renonciation au contrat de travail vaut démission de la part du salarié nouvellement désigné directeur général ?
Pour la cour d’appel, le salarié a bien démissionné de son activité de salarié. Cette dernière indique que sa renonciation au bénéfice du contrat de travail et à toute rémunération s’y rapportant, telle qu’elle ressort du procès-verbal du conseil d’administration constitue une déclaration claire et non équivoque correspondant à une démission.
A l’inverse, pour le salarié, la formule en cause est équivoque en ce qu’elle peut être considérée comme la seule application du principe de non-cumul des fonctions de mandataire social et de salarié durant son mandat. Il considère, ainsi, qu’elle n’emporte pas renonciation au principe de suspension du contrat de travail et à sa remise en œuvre dès la cessation de son mandat social.
La Cour de cassation donne raison au salarié et rappelle que le contrat de travail d’un salarié investit d’un mandat social exclusif de tout lien de subordination est, en l’absence de convention contraire, suspendu pendant le temps d’exercice du mandat.
La Cour de cassation indique également que la démission ne peut résulter que d’une manifestation claire et non équivoque de volonté du salarié de rompre le contrat de travail. Elle juge qu’il ne résulte pas des contestations de la cour d’appel que le salarié a manifesté une volonté claire et non équivoque de démissionner. Cette décision est donc conforme à une jurisprudence constante mais, dans le cas présent, les termes utilisés lors de la désignation du dirigeant (renoncer au bénéfice de…) auraient éventuellement pu être qualifiés de démission.
Toujours sur le même thème mais cette fois dans le cadre d’une liquidation judiciaire, la Cour de cassation (Cass.soc.,28 septembre 2022 n°20-14.453), rappelle que seule la clôture de la liquidation judiciaire, et non l’ouverture, a pour effet de faire disparaître la société et de mettre fin aux fonctions des dirigeants. Par conséquent, pendant la procédure de liquidation, le mandat social du dirigeant est toujours en cours et ce jusqu’à la clôture de la procédure de la liquidation. Le contrat de travail du dirigeant est quant à lui toujours suspendu en l’absence de rupture de fait ou de licenciement par le liquidateur.
Par conséquent, le dirigeant dont le contrat de travail est suspendu car la liquidation judiciaire n’est pas clôturée, n’est pas fondé à demander des indemnités de licenciement pour rupture de fait de son contrat de travail.
Pour finir, il est rappelé qu’il n’est possible de cumuler mandat social et contrat de travail qu’à la condition que le contrat de travail du dirigeant (président du conseil d’administration, directeur général ou directeur général délégué d’une SA ou SAS, gérant de SARL) corresponde à un emploi effectif (Cass.soc. 7 mars 2018, n°16-19577), c’est-à-dire :
- Que les fonctions de salariée soient nettement distinctes de celles de mandataire ;
- Que l’intéressé se trouve dans une situation de subordination juridique vis-à-vis de la société,
- Qu’une rémunération spécifique soit versée au titre du contrat de travail.
En l’absence de fonctions techniques distinctes exercées dans un lien de subordination à l’égard de la société (généralement le plus dur à appréhender lorsqu’il existe un seul dirigeant de la société employeuse), le contrat de travail du salarié investi d’un mandat social au sein de celle-ci ne peut se poursuivre. Le contrat de travail est donc suspendu pendant la durée du mandat social et reprend ses effets à l’issue de celui-ci (Cass.soc., 14 juin 2005 n°02-47.320 ; Cass.soc., 5 novembre 2015 n°14-19.560 ; Cass.soc., 18 septembre 2019 n°19-19.712)