La gravité suffisante de la faute justifiant la résolution unilatérale

Il est fréquent que dans le cadre d’un projet informatique les relations entre les parties se tendent au point que les équipes de l’une ou l’autre souhaitent l’abandonner. Un tel effet psychologique doit être contenu par la gestion de projet, pour que la résolution unilatérale du contrat soit évitée.

Seulement, il arrive que la rupture de confiance entre les équipes, ou les manquements, soient tels qu’il ne soit plus possible de maintenir la relation. Seulement cette rupture de confiance est-elle suffisante ? quelles sont les fautes nécessaires pour s’orienter vers une résolution du contrat ?

Selon les dispositions du Code Civil, la résolution doit résulter d’une inexécution suffisamment grave et après notification du créancier au débiteur[1]

En tant que telle la notification du créancier de l’obligation au débiteur ne pose pas de difficulté pratique[2]. Elle doit être respectée.

En revanche déterminer si le manquement du cocontractant est suffisamment grave est plus complexe en pratique…

Certes, le manquement à une obligation principale, voire essentielle, sera plus facilement jugé « suffisamment grave », que l’inexécution d’une obligation accessoire ou secondaire[3]. Néanmoins, lorsqu’aucune des parties n’est de mauvaise foi, les critères d’appréciation de la suffisante gravité sont plus difficiles à établir, de sorte que le non-respect d’obligations accessoires peut impacter celui des obligations principales.

Ainsi les critères de suffisante gravité demeurent en partie « énigmatiques[4] ».

Pour établir l’intensité de la gravité du manquement, la situation peut être analysée selon deux prismes[5] : une première partie d’analyse se concentrera sur les conséquences du manquement en cause qui empêche la réalisation future du contrat ; un deuxième critère sera également  l’analyse du comportement des cocontractants éventuellement néfastes à la bonne réalisation du contrat.

En informatique les juridictions doivent nécessairement prendre en compte ces deux critères, car les deux parties participent à la réalisation du projet. Il convient donc de prendre en compte toutes les composantes pour caractériser une faute suffisamment grave.

Les juridictions cherchent ainsi à établir l’existence d’une telle faute  contrôlant l’importance de l’obligation qui n’a pas été respectée sur la poursuite du projet (réalisation de la solution, respect des délais). Si l’obligation est essentielle et qu’elle n’est pas respectée, le manquement sera considéré suffisamment grave.

Une illustration de cette approche se trouve dans un arrêt de la Cour d’appel de Colmar du 27 avril 2022[6].

Dans cette affaire, une cliente avait commandé le 3 juin 2015 différentes prestations auprès d’un prestataire tendant à la création d’un site internet d’impression en ligne. Le 6 novembre 2015 la cliente résiliait unilatéralement le contrat en sollicitant la restitution d’un acompte versé. La livraison avait plus de 6 mois de retard. La Cour a estimé que la preuve du manquement à l’obligation de collaboration de la cliente n’étant pas rapportée, le fait de livrer en retard de 6 mois un site internet était suffisamment grave pour justifier d’une résolution unilatérale. Le projet avait été tellement retardé que le contrat initial pouvait être jugé non respecté.

La solution d’un second arrêt de la Cour d’appel de Paris du 17 juin 2022[7] va dans le même sens, mais avec un retard d’un mois au lieu de six. Nous constatons donc que le retard dans l’exécution des obligations peut éventuellement caractériser une faute d’une suffisante gravité.

Les juridictions tiennent également compte du comportement de chaque partie et de l’impact sur le projet,  pour pondérer la gravité de la faute. C’est une manière de rééquilibrer la situation entre les parties, notamment en cas d’atteinte à une obligation de bonne foi, c’est-à-dire un manquement à l’exécution du projet conformément à ce que l’autre contractant est en droit d’attendre d’un cocontractant loyal, diligent.

Ainsi, dans un arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 5 juillet 2022[8], la Cour a relève que quand bien même la livraison n’avait pas été effectuée dans les délais, celle-ci était dépendante du comportement de la cliente qui d’une part, a effectué de nombreuses demandes de modification du besoin initial et d’autre part, n’avait pas mis en avant sa volonté de rompre le contrat : elle montrait plutôt une volonté de continuer. La Cour d’appel de Versailles a alors jugé que la résolution unilatérale par la cliente n’était pas valable. De même la Cour d’appel de Poitiers le 25 novembre 2011[9] a pris en considération les risques partagés entre les parties pour considérer que les fautes n’étaient pas suffisamment graves.

Ces Cours prennent donc en considération le comportement des deux parties pour constater pondérer et apprécier la suffisante gravité d’un manquement.

Ainsi, les juridictions lorsqu’elles abordent un projet informatique peuvent se concentrer sur le comportement des parties (le client doit éviter de réclamer un trop grand nombre de modifications, doit être collaboratif…) et lui donner un poids supérieur à l’obligation principale non respectée.

Eu égard à cette complexité, dès lors que la résolution unilatéralement du projet informatique est envisagée, il convient de procéder par étapes pour assurer une sécurité juridique pleine et entière :

  • toujours prévoir la preuve d’un comportement personnel proactif qui montre que l’on a essayé de sauver le projet,
  • faire une analyse de risques tenant compte à la fois des manquements de l’autre partie mais également des comportements négatifs et positifs des deux parties (obligation de collaboration vs obligation de conseil/de livraison) ;
  • toujours mettre en demeure l’adversaire de réparer la situation en accordant un délai suffisant.

L’équipe du pôle Contrats informatiques, données & conformité se tient à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.


[1] C.civ., art. 1224.

[2] Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable (C.civ, art. 1226).

[3] F. Terré et ali, op.cit., p. 873. §815.

[4] F. Dournaux, « L'appréciation du bien-fondé de la résolution unilatérale », RDC juin 2021, n° 200b0, p. 8

[5] Cette distinction doctrinale permet d’appréhender la notion.

[6] CA Colmar, ch. Civ. 1, sec. A, 27 avr. 2022, n°218/22.

[7] CA Paris, 17 juin 2022, n°19/14411.

[8] CA Versailles, ch. 13ème, 5 juill. 2022, n°21/01199.

[9] CA Poitiers, ch. Civ. 1re, 25 nov. 2011.