Responsabilité pénale de la société absorbante (la suite)

Il est avant tout rappelé le revirement de jurisprudence en la matière qui a fait couler beaucoup d’encre en fin d’année 2020. En effet, le 25 novembre 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation a opéré un revirement historique en autorisant la mise en cause pénale de la société absorbante pour des faits commis par la société absorbée, préalablement à sa dissolution par fusion-absorption. Par ce premier arrêt, le juge français rejoignait la position des juridictions européennes.

A l’époque, nous comprenions de cet arrêt du 25 novembre 2020 que la portée de ce revirement était limitée en trois points :

  • D’une part, au regard des sociétés concernées : le revirement ne concernait que les opérations de fusion entrant dans le champ de la directive 1978 codifiée par la directive 2017 relative aux sociétés anonymes, de telle sorte que seules les sociétés par actions étaient concernées ;
  • D’autre part, au regard des sanctions attachées à la responsabilité pénale transférée à la société absorbante : la Cour de cassation avait jugé qu’il ne pouvait s’agir que de peines d’amendes ou de confiscation, ce qui revenait à exclure les autres sanctions telles que la dissolution, l’interdiction d’exercice ou encore le placement sous surveillance judiciaire ;
  • Enfin, au regard de la date des fusions concernées : le revirement ne s’appliquait qu’aux opérations de fusions conclues postérieurement au prononcé de cet arrêt, autrement dit celles réalisées après le 25 novembre 2020.

Néanmoins, déjà dans cet arrêt de 2020, la Cour de cassation affirmait que la responsabilité pénale pleine et entière de l’absorbante pouvait être engagée lorsque la fusion a eu pour objectif de faire échapper l’absorbée à sa responsabilité pénale. En effet, la Cour de cassation indiquait que s’agissant d’une opération frauduleuse, les limites du revirement susvisées n’étaient pas applicables.

Avec ce nouvel arrêt (Cass. Crim., 13 avril 2022 n°21-80.653) la chambre criminelle de la Cour de cassation vient expliquer toutes les conséquences de son premier arrêt  du 25 novembre 2020.

Avec cette décision, les juges du droit font preuve de pédagogie, puisqu’ils expliquent dans leur réponse qu’en cas de fusion-absorption, la société absorbante peut être condamnée pénalement pour des faits constitutifs d’une infraction commise par l’absorbée avant l’opération, dans deux hypothèses, et font référence à l’arrêt du 25 novembre 2020.

Ainsi, après avoir rappelé les deux cas dans lesquels la responsabilité pénale de l’absorbante peut-être engagée (1. L’opération de fusion est conclue après le 25 novembre et concerne des sociétés par actions ; et 2. l’opération de fusion est une opération frauduleuse), la Cour de cassation en déduit que les juridictions d’instruction ne devraient pas prononcer une décision de non-lieu quant à la dissolution de l’absorbée, contre laquelle elles relèvent des charges suffisantes, sans vérifier si les conditions pour exercer des poursuites à l’encontre de l’absorbante ne sont pas susceptibles d’être remplies.

La Cour de cassation censure, en outre, la décision de la cour d’appel qui confirme l’ordonnance de non-lieu rendue au bénéfice de l’absorbante poursuivie pour des faits de recels d’abus de biens sociaux commis par l’absorbée en 2005, sans vérifier l’existence d’une éventuelle fraude à la loi.

Avec ce nouvel arrêt, la Cour de cassation rend une décision explicite quant à l’application du revirement de jurisprudence qu’elle a opéré en 2020.

Ainsi, afin d’écarter la responsabilité pénale de la société absorbante pour des faits commis par l’absorbée, la Cour de cassation indique qu’il faut d’abord vérifier que les conditions permettant d’engager la responsabilité pénale de l’absorbante ne sont pas remplies. Pour cela, il convient d’une part de s’assurer que l’opération de fusion-absorption n’est pas frauduleuse quelle que soit la date de l’opération et, d’autre part, de constater que l’opération est antérieure au 25 novembre 2020 ou que les sociétés parties à l’opération ne sont pas des sociétés par actions. Si, tel est le cas, la responsabilité de l’absorbante est écartée en application de l’ancienne interprétation de la chambre criminelle du principe selon lequel « nul n’est pénalement responsable que de son propre fait » (Cass.crim 25 oct 2016 n°16-80.366).

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