Abus de minorité et refus de modification de l’objet social

Par un arrêt du 13 mars 2024, la chambre commerciale apporte des précisions sur la caractérisation d’un abus de minorité en cas de modification de l’objet social. Par cet arrêt, elle rappelle que le refus d’un minoritaire de modifier l’objet social peut être contraire à l’intérêt social d’une société. Toutefois, elle censure l’arrêt de cour d’appel qui a retenu l’existence d’un abus de minorité en invoquant une dénonciation irrégulière des contrats de franchise et d’approvisionnement. 

I. Rappel des faits : l’invocation d’un abus de minorité pour justifier la nomination d’un mandataire ad hoc

Dans cette affaire, le capital social d’une SARL est détenu à 74 % par deux personnes physiques. Le solde est détenu par une société, elle-même sous-filiale d’une société appartenant au groupe Carrefour.

En substance, l’objet social de SARL portait sur la création et l'exploitation d'un fonds de commerce de supermarché uniquement sous une enseigne appartenant au groupe Carrefour.

La modification de l'enseigne par la gérance est subordonnée à une autorisation des associés représentant plus des trois quarts des parts sociales.

Le 24 février 2014, la SARL a conclu un contrat de franchise et un contrat d'approvisionnement avec deux filiales du groupe carrefour.

Le 12 février 2020, les cogérants de la SARL ont dénoncé ces contrats.

Lors de l'assemblée générale de la SARL du 12 juin 2020, l’associé minoritaire a voté contre deux projets de résolutions.

Le premier projet portait sur une modification de l'objet social. La nouvelle rédaction supprimait la référence à une exploitation sous enseigne Carrefour.

Le second projet visait à réaménager les pouvoirs des gérants afin de leur permettre de modifier l'enseigne du fonds. Une telle modification pouvait intervenir sans devoir être autorisée par une décision des associés représentant plus des trois quarts des parts sociales.

Sur le fondement d’un abus de minorité, la SARL et ses associés majoritaires ont assigné l’associé minoritaire aux fins de voir désigner un mandataire ad hoc. Ce mandataire aurait été chargé de voter au nom de l’actionnaire minoritaire sur ces projets de résolutions.

Cette demande a été accueillie par la cour d’appel de Caen. Selon elle, la dénonciation des contrats litigieux conduisait à la nécessité, pour la société, de modifier son objet social.

Elle juge que le refus de l’associé majoritaire « ne s'explique que par sa volonté de préserver le système de franchise participative, pourtant régulièrement dénoncé, et ne répond qu'à la défense de ses intérêts personnels, lesquels se confondent avec ceux (son associé). ». Elle conclut donc à la caractérisation d’un abus de minorité.

II. La solution de la Cour de cassation : une interprétation classique de l’abus de minorité

A titre préalable, la Cour de cassation rappelle que le « refus d’un associé minoritaire de modifier l’objet social peut être contraire à l’intérêt général de la société. ».

Une telle solution est classique. L 'existence d'un abus de minorité suppose de rapporter la charge de la preuve de deux éléments. D’une part, l'attitude du minoritaire doit être contraire à l'intérêt général de la société en ce que celui-ci interdit la réalisation d'une opération essentielle pour elle. D’autre part cette attitude doit procéder de l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment des autres associés.

Plus précisément, l’abus de minorité avait déjà pu être retenu pour un refus de modification statutaire nécessaire à la survie d’une société (Com. 15 juillet 1992 n°90-17.216 publié au bulletin, Com. 19 mars 2013 n° 12-16.910, Inédit).

Toutefois au cas d’espèce, l’abus de minorité a été écarté par la cour de cassation. La dénonciation des contrats de franchise et d’approvisionnement avait pour effet de modifier l’objet social de la société. Or, au sein des SARL, la modification des statuts doit être adoptée par l’assemblée générale extraordinaire des associés statuant à la majorité des trois quarts des parts sociales (Article L.222-30, alinéa 2 du Code de commerce). La dénonciation des contrats litigieux effectuée par les cogérants était donc irrégulière.

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