Cession de droits sociaux et Garantie d’éviction

La garantie d’éviction protège l’acquéreur d’une société contre l’établissement d’un commerce par le vendeur pouvant le concurrencer.  L’arrêt de la Cour de cassation du 10 novembre 2021, vient pour la première fois, limiter cette garantie d’éviction en indiquant que sa mise en œuvre doit être proportionnée aux intérêts légitimes à protéger.

  1. Les faits et l’arrêt de la Cour d’Appel

Dans les faits, l’acquéreur des actions d’une société exerçant dans l’édition de logiciels agit en garantie d’éviction contre les cédants et demande la restitution partielle de la valeur des droits sociaux cédés et la réparation de son préjudice. Il est reproché aux vendeurs d’avoir créé 3 ans après la vente une société dans le même domaine d’activité.

La cour d’appel de Paris fait droit à cette demande et estime que les cédants ont manqué à leur obligation d’éviction. Elle appuie sa décision sur le fait que les cédants, par l’intermédiaire de leur société, ont proposé au marché un produit concurrent à celui proposé par la société cédée, qu’ils se sont réapproprié une partie du code source d’un logiciel, qu’ils ont, en outre, débauché du personnel essentiel à l’activité de la société dont les actions ont été cédées, ou encore qu’ils ont contracté avec des anciens clients à la suite d’une procédure d’appel d’offre. En conséquence, la cour d’appel conclue que ces agissements ont conduit à un détournement de la clientèle de la société vendue, empêchant celle-ci de poursuivre pleinement son activité.

  2. La Cour de cassation limite la portée de la garantie d’éviction

La Cour de cassation censure la décision de la cour d’appel sur le fondement de la liberté du commerce et de l’industrie, de la liberté d’entreprendre et de l’article 1626 du Code civil.

La Cour de cassation indique que la garantie d’éviction peut restreindre les libertés susvisées, à la condition que l'interdiction pour le vendeur de se rétablir soit proportionnée aux intérêts légitimes à protéger. Elle reproche à la cour d’appel de ne pas avoir concrètement recherché si, au regard de l’activité de la société cédée et du marché concerné, l’interdiction de se rétablir se justifiait encore au moment des faits reprochés, alors que :
- la nouvelle société a été créée par l’un des cédants 3 ans après la cession,
- l’autre cédant l’a rejoint un an plus tard,
- les contrats en cours lors de la cession étaient à durée déterminée.

3. La portée de l’arrêt

Cet arrêt apporte une précision inédite quant à la mise en œuvre dans le temps de la garantie d’éviction.

En tant qu’obligation légale tirée du droit commun, les textes portant sur la garantie d’éviction (articles 1626 et 1628 du Code civil) ne prévoient pas de durée pour faire appliquer cette garantie. Contrairement à la clause de non concurrence, généralement prévue dans l’acte de cession, qui pour être valable doit être limitée dans le temps et dans l’espace et être proportionnée aux intérêts légitimes à protéger.

D’ailleurs, la Cour de cassation, jusqu’à présent, précisait que la garantie d’éviction ne prenait pas fin à l’expiration de la clause de non-concurrence convenue par les parties (Cass.com.15.12.20209 n°08-20.522 ; Cass.com.16.01.2001 n°98-21.145).

C’est donc la première fois que le Cour de cassation pose une limite de temps à la garantie d’éviction en exigeant que l’interdiction de rétablissement soit proportionnelle aux intérêts légitime à protéger. A noter que cette limite doit être appréciée in concreto, au cas par cas, comme pour l’interprétation de l’exigence de proportionnalité imposée aux clauses de non concurrence.

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