Rapport sur l’utilisation des voies de service – les 9 recommandations stratégiques de l’Autorité de régulation des transports

Sur le fondement de l’article L.2131-1 du Code des transports prévoyant que l’Autorité de régulation des transports (ART) « concourt au suivi et au bon fonctionnement, dans ses dimensions techniques, économiques et financières, du système de transport ferroviaire national, notamment du service public et des activités concurrentielles, au bénéfice des usagers et clients des services de transport ferroviaire », l’Autorité a réalisé une étude relative aux voies de service[1].

En effet, l’Autorité rappelle que ces voies de service sont considérées comme un élément périphérique mais dont l’importance stratégique est au moins égale à celle de l’infrastructure ferroviaire.

Au-delà de l’aspect réglementaire, l’ART a procédé à des visites de terrain (sur onze complexes) et consulté ses homologues européens (Allemagne, Belgique, Italie et Royaume-Uni).

Les acteurs majeurs du transport ferroviaire ont pu émettre des observations sur le projet de rapport (Groupe SNCF et ses filiales, l’Etat, les principales organisations professionnelles du transport ferroviaire, l’EPSF).

Les vingt recommandations sont classées en deux catégories à savoir d’une part, les recommandations stratégiques (qui seront rappelées dans la présente note) dont les effets sont à moyen ou long terme mais qui nécessitent des moyens de mise en œuvre à court terme, d’autre part, les recommandations pratiques qui visent des actions concrètes réalisables sans délai ni surcroît de moyens et permettant une amélioration de la qualité de service.

Avant d’analyser ces recommandations à travers l’état des lieux dressée par l’Autorité, il convient de définir la voie de service.

Qu’est-ce qu’une voie de service ?

Il ressort des explications du rapport que les voies de service sont somme toute des voies ferrées non affectées à du transport commercial (voyageurs ou marchandises). L’ART explique qu’il y a en quelque sorte deux classifications qui se recoupent.

Une classification est établie par SNCF Réseau selon des termes qui lui sont propres. Elle distingue d’une part, les voies de service commercialisables de celles qui ne le sont pas. Ainsi, les voies non commercialisables sont celles qui servent à SNCF Réseau pour réaliser ses missions comme les travaux au moyen de trains de travaux.

Les voies commercialisables sont celles destinées :

  • Soit à un usage courant : voies de travail affectées à la production des entreprises ferroviaires hors sillon (tri, manœuvre et formation de trains, stationnement temporaire amont et aval de ces opérations...) », les « voies de garage, affectées au stationnement temporaire des véhicules ferroviaires entre deux missions », les « voies de travail et/ou de garage auxquelles sont associés un foncier et/ou un équipement fixe, le tout constituant un espace industriel »
  • Soit à un usage spécifique (qui n’est pas habituel) : absence de mouvement ferroviaire par exemple et durée longue (plusieurs années)

La deuxième classification utilise des termes différents, néanmoins, pour l’ART, elle se recoupe avec celle établie par SNCF Réseau.

Ainsi, les voies de service non commercialisables feraient parti de l’infrastructure ferroviaire au sens de l’annexe I de la directive 2012/34 établissant un espace ferroviaire unique européen. Les voies de service commercialisables seraient elles des installations de service.

Par ailleurs, l’ART rappelle que SNCF Réseau exploite un linéaire de 3 000 km de voies de service qui présentent des usages dépassant celles décrites précédemment : voies de délestage, stationnement de matériels roulants entre deux services commerciaux, fonction de triage, de formation de convois et de manœuvre, etc.

Le constat actuel

La difficile identification des voies de service et de leur disponibilité

Tout d’abord, l’ART rappelle que la propriété des voies de service relève soit de SNCF Réseau, SNCF Voyageurs ou encore l’Etat.

En effet, la loi n° 2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire prévoit le transfert SNCF Réseau de la pleine propriété des biens attachés aux missions de gestion de l'infrastructure et des terminaux de marchandises du groupe SNCF et de l’État. Par ailleurs, cette loi prévoit un accord entre SNCF Réseau et SNCF Voyageurs procédant au transfert des installations de service autres que les gares de voyageurs et les centres d'entretien, dont la propriété est également transférée à SNCF Réseau.

Aussi, et malgré la réglementation, il demeure que « le recensement actuel des voies de service n’est ni exhaustif, ni complet, puisque peu de sites sont inventoriés et que les éléments y afférents mis à disposition ne couvrent généralement que partiellement le champ des informations exigées. D’autre part, ce recensement, reposant exclusivement sur la diligence des exploitants, ne comprend pas les installations terminales embranchées, notamment celles désaffectées ou inactives, qui présentent cependant un intérêt pour la prospection foncière ou commerciale des entreprises ferroviaires, alors qu’un inventaire en avait été dressé en 2019 par le CEREMA13 (base « ITE 3000 ») ».

Par ailleurs, l’information en temps réel de la disponibilité de ces installations de service n’est pas actuellement proposée par SNCF Réseau.

Aussi, l’ART émet la recommandation stratégique suivante :

  1. Établir, publier et tenir à jour une cartographie du domaine dont SNCF Réseau assure la gestion en publiant les informations relatives aux embranchements particuliers, aux emprises susceptibles d’être mises à disposition et aux installations tierces connectées, afin de permettre, à l’échelle nationale, l’identification de l’ensemble des installations de service et des fonciers ferroviaires existants, de leurs exploitants ou à défaut de leurs propriétaires, et ce dans un format exploitable tel qu’un système d’information géographique.

La consistance de l’offre de voies de service de SNCF Réseau comporte des éléments de rigidité, d’hétérogénéité et de complexité susceptibles de constituer des barrières à l’entrée

La méthode actuelle d’allocation des voies de service consiste à attribuer des blocs de service contenant plusieurs voies de service parallèles, chaque bloc étant indépendant d’un autre. Ce système compromet la possibilité d’augmenter le nombre d’exploitants sur un site.

Par conséquent, l’ART émet la recommandation suivante :

2. Restructurer le processus d’allocation des capacités sur les voies de service pour en assurer la modularité et la fluidité, (i) en opérant la gestion complète des sites stratégiques selon une approche spatio-temporelle, (ii) en envisageant la possibilité d’adopter une nouvelle chronologie d’allocation des capacités groupées par blocs.

L’ART évoque par ailleurs le système non homogène de la mise à disposition des voies de service depuis le DRR de 2021 qui ne garantit pas l’équité entre les attributaires ni la transparence. Aussi, l’Autorité émet les recommandations suivantes :

  1. Exclure la possibilité de recourir à une mise à disposition en l’absence d’une installation nouvellement financée par l’attributaire et intégrer ces usages dans le cadre de l’usage courant afin de borner leur échéance à l’horaire de service en cours ;
  2. Elaborer, en concertation avec les parties prenantes, un principe de détermination de la durée des conventions de mise à disposition et une procédure d’allocation ;
  3. Intégrer, dans les conventions de mise à disposition, une clause de résiliation anticipée en cas d’absence de publication par l’attributaire d’une offre pour l’ensemble des services rendus et en faire mention dans le DRR ;
  4. Aménager, dans les conventions de mise à disposition, un droit d’option permettant à SNCF Réseau de disposer d’une fraction de la capacité, moyennant la couverture de la quote-part correspondante de l’investissement non amorti.

Au-delà de la mise à disposition, l’Autorité de régulation des transports a constaté un système de cessions croisées par lequel SNCF Réseau cède une emprise foncière à une autre entité du groupe SNCF qui elle-même cède une partie de ses emprises foncières ferroviaires.

Aussi, l’Autorité recommande de privilégier les cessions simples par rapport à une cession croisée lorsque l’échange d’emprises de potentiel équivalent ne peut avoir lieu au sein d’un même ensemble ferroviaire et de rendre accessibles aux entreprises ferroviaires les informations relatives aux emprises mises à disposition de tiers ou faisant l’objet de droits d’occupation et à celles récemment déclassées ou susceptibles d’être cédées.

Les modes d’exploitation des voies de service de SNCF Réseau sont peu performants obérant la performance des services de transport ferroviaire (voyageurs et marchandises)

L’Autorité de régulation des transports émet les recommandations stratégiques et techniques suivantes :

3. Adopter une démarche industrielle, permettant d’aboutir sous 3 à 5 ans, pour l’ensemble des sites, à la numérisation des fonctions structurantes des processus cœur de métier, à savoir les six fonctionnalités énumérées et la communication opérationnelle entre les postes d’aiguillage et les exploitants ferroviaires

4. Inscrire les demandes de capacités formulées à des fins de travaux dans le processus d’allocation applicable aux tiers, d’une part en amont, en matérialisant leur priorité par une publication précoce de demandes initiales formalisées et engageantes, d’autre part, en aval, en mettant en œuvre un mécanisme de pénalité garantissant l’effectivité des droits d’accès accordés antérieurement

L’absence d’un environnement incitatif qui en compromet la pérennité

Dans la perspective d’une augmentation des tarifs d’utilisation des voies de service en raison d’une insuffisante couverture des coûts, l’ART recommande de :

5. Amorcer une dynamique vertueuse entre performance industrielle et modèle de tarification régulée de l’accès aux voies de service en relevant progressivement le niveau de couverture du revenu autorisé au travers d’une structure tarifaire permettant de corréler les tarifs au niveau de service offert et de moduler les redevances en fonction de la qualité de service effective

6. Constatant l’absence d’intégration des voies de service dans les grands projets de modernisation, il convient de revaloriser le caractère stratégique des voies de service au plus haut niveau de la direction de l’entreprise, en intégrant au projet d’entreprise une dimension propre au métier d’exploitant d’installation de service et en développant, à cette occasion, une vision stratégique de l’offre commerciale de services visée

7. Procéder à un état des lieux exhaustif et à une estimation globale des travaux de renouvellement nécessaires à court et moyen terme, en anticipant l’évolution des pratiques ferroviaires

8. Inclure dans le contrat de performance une définition de la consistance industrielle cible de l’offre d’installations de service, associée à l’allocation de moyens spécifiques, échelonnés et cohérents avec cette définition pour le renouvellement et l’adaptation de cet actif aux besoins des services de transport ferroviaire de fret et de voyageurs

9. Faciliter et étendre la mise en place d’un accompagnement et d’un contrôle plus resserrés de la dynamique tarifaire et industrielle de SNCF Réseau par le régulateur, au travers de mesures réglementaires prévoyant pour SNCF Réseau :

  • la revue annuelle de ses investissements par le régulateur ;

  • un principe de modération ou de soutenabilité des hausses de tarifs d’accès aux installations de service ;

  • la prise en compte explicite de coûts correspondant à ceux d'opérateurs efficaces pour la tarification des prestations.


[1] https://www.autorite-transports.fr/consultations/utilisation-des-voies-de-service/