« Eviter l’échec du projet informatique » # 1 : encadrer les négociations

La négociation contractuelle relègue souvent au second plan l’objectif principal des parties dans un projet informatique : être efficace au cours du projet et surtout le faire aboutir.

Les parties estiment souvent, même dans les projets informatiques, qu’un bon contrat nait si chacun défend au maximum ses intérêts individuels. Seulement, l’exécution du projet fait parfois dévier des intérêts que les parties ont défendus en négociation.

Il en ressort un contrat inadapté à la pratique et souvent déséquilibré.

Or, en cas de contentieux les éléments de faits pourraient être préjudiciables aux parties, surtout si le contrat ne reflète pas la pratique. Ce qui a également pour origine un contrat difficile à interpréter par la suite[1].

La sécurité juridique qui est l’objectif d’un contrat est donc presque réduite à néant. Prenons l’exemple d’un contrat qui privilégie un démarrage en big bang et qui en tire les conséquences sur les étapes de recette…alors que dans les faits le démarrage interviendra sous formes de lots.

En conséquence, non seulement la négociation préalable à la signature du contrat de développement ou d’intégration est essentielle, mais de plus il apparait nécessaire de l’encadrer à l’aide d’un process précis et écrit qui peut figurer dans une lettre d’intention ou un accord préparatoire.

1. Des négociations contractuelles tenant compte des positions

En phase de négociation contractuelle une position « tous gagnants » est donc préférable. Elle tient compte du fait qu’un projet informatique qui réussit et un projet ou les parties collaborent. Il faut que chaque partie se concentre sur les intérêts de l’autre partie et non seulement sur leur position personnelle[2].

Ces contrats d’intégration ou de développement préparent les parties à passer quelques mois, voire parfois quelques années ensemble !

Chacun doit donc s’assurer que la négociation est équilibrée pour elle, mais pour l’autre également. Sans cela, le bénéfice qui est obtenu en défendant ses propres intérêts en négociation disparaît au profit d’une conséquence bien plus défavorable : l’échec du projet.

Seulement, juridiquement, l’accord sur les éléments essentiels suffit à considérer que le contrat est conclu : c’est-à-dire dès que les parties se sont mises d’accord sur la chose et le prix le contrat est conclu[3].

2. Des négociations contractuelles encadrées juridiquement

En premier lieu, il convient d’encadrer les négociations par un accord commun écrit[4].

Les intitulés utilisés pour ces contrats de négociation (accord préparatoire, lettre d’intention, accord de principe) n’ont pas d’impact concret sur la responsabilité des parties. Le juge recherchera de manière concrète, en fonction du contexte, si la manière dont les parties ont rédigé leur accord a pu objectivement faire naître des responsabilités chez celui qui l’invoque[5].

Ces contrats de négociations préciseront le but de la négociation[6] celui de s’assurer que tous les éléments pratiques d’organisation du projet sont bien définis (4) et que les informations importantes en pratique ont bien été échangées (3).

Cet avant contrat permettra donc de mieux préparer les parties à la signature du contrat de développement ou d’intégration, en précisant les étapes essentielles à suivre.

3. Des négociations contractuelles qui informent les parties

Il convient de tenir compte non seulement des informations qui emportent le consentement de la Direction générale des parties, mais aussi de celles qui permettent d’assurer une organisation du projet « praticable ».

Certes tout le monde devrait pouvoir se renseigner seul de ses intérêts, mais les professionnels (le prestataire donc) détiennent plus d’informations du fait de leur expérience.

Certaines informations[7] peuvent en outre être spécifiques à l’une ou l’autre des parties (par exemple un client qui facture toutes ses prestations sur une seule et unique facture : c’est totalement atypique et le prestataire doit en être informé). C’est pourquoi, il convient de communiquer ces informations au préalable, pour s’assurer que toutes les parties aient le même niveau d’information pour permettre au projet d’aboutir.

À titre d’exemple si le client est informé que ses besoins devront être précisés en atelier, mais qu’il dispose d’une organisation qui ne lui permet pas de libérer les opérationnels au risque d’interrompre l’activité de l’entreprise (les coûts seraient déraisonnables) et que les personnes qui seront présentes en atelier, n’ont pas directement les informations pertinentes pour l’expression de besoin, il doit en informer le prestataire.

Le prestataire pourra alors, s’il l’estime nécessaire, redéfinir l’organisation de la phase de conception : les ateliers pourront être supprimés au profit d’échanges écrits et de courtes réunions pour faire le point.

Cette réorganisation peut permettre de réajuster les coûts et le calendrier du projet, ce qui modifie certaines conditions importantes du contrat et permet d’éviter des inquiétudes et réclamations en cours de projet.

Ainsi, il convient de créer une dynamique dès la négociation pour que les parties partagent les informations utiles pour la réalisation du projet.

4. Des négociations contractuelles qui organisent le projet

Concernant la définition de l’organisation du projet d’intégration informatique, dès la phase de négociation des points pratiques doivent être abordés, en présence des participants au projet et non seulement de la direction générale et juridique qui négocie le contrat.

a. L’organisation des équipes projet

La présence d’une équipe projet pour chaque partie doit être abordée dès la phase de négociation.

Ces participants doivent être motivés et doivent avoir échangé entre eux avant le projet, ne serait-ce que pour voir si leurs objectifs sont partagés. Les projets de ce type peuvent durer très longtemps, il serait dommage que l’échec du projet ait pour origine une mésentente entre équipes qui aurait pu être identifiée avant le début du projet.

La disponibilité des acteurs chez le client est également fondamentale. Il faut la déterminer avant le projet et s’y engager.

La prise en compte de ces éléments oblige à réorganiser le projet et donc à redéfinir certaines modalités d’organisation. C’est pourquoi il convient d’en tenir compte avant la signature.

b. L’organisation de la qualité : plan qualité projet :

Un plan qualité projet permet d’éviter que les équipes ne travaillent avec leurs habitudes et leurs outils, et d’éviter les incompréhensions.

Les habitudes et les outils sont ainsi définis dans le cadre d’un référentiel qui permet d’assurer une qualité objective au projet avec des métriques telles qu’un seuil d’acceptation des anomalies ; les nombres d’aller-retour de spécifications….

Les parties s’accordent grâce à ce plan sur leur capacité à mettre en œuvre le projet conformément à leurs moyens, en les responsabilisant.

En fonction de la complexité du plan qualité projet, il pourra être utile de nommer un contract manager ou un gestionnaire de l’application du plan.

c. L’organisation des processus du projet

Avant de conclure le contrat, les parties doivent discuter du processus de mise en œuvre du projet. Il est parfois difficile pour un client profane de bien comprendre le séquençage.

Cette discussion permettra d’aborder également :

  • le processus de gestion des changements de périmètre : ce processus permet de suivre les coûts et s’assurer que le projet ne change pas de périmètre au risque de mener à un projet sans fin ; c’est un élément pratique indispensable pour organiser les moyens du projet 
  • le processus de conduite du changement : suite à un tel projet l’organisation du client est fortement restructurée ; les employés doivent s’y adapter. Le prestataire et le client doivent tenir compte de ces éléments en collaboration. De même, le prestataire ne doit pas démarrer un projet s’il n’est pas certain que le client a bien compris l’impact des changements que va impliquer la nouvelle solution.
    • Autres éléments à négocier pour la pratique du projet

d. D’autres éléments sont à anticiper :

  • l’existence d’un microplanning des tâches dès la négociation dont la granularité devra être discutée en collaboration entre les parties ; un macroplanning ne suffit pas ;
  • la gouvernance dont l’importance pratique fondamentale devra être comprise par le client : gestion des comités, avec compte rendu pour suivre l’avancement ;
  • le rôle et les responsabilités des parties en phase de recette ; ce point devra également faire l’objet d’une discussion avant de signer le contrat

Ces avant-contrats et le processus précis de négociations qu’ils contiennent, permettront de réduire fortement les risques d’échec du projet en ajoutant au futur contrat d’intégration ou de développement les éléments essentiels au projet, tant sur le plan technique que juridique.

Dans le cadre du cycle sur les moyens d’éviter l’échec du projet informatique qui est en cours, nous aborderons les thèmes suivants :


[1] Terré, François, Philippe Simler, Yves Lequette, et François Chénedé. Droit civil: les obligations. 12e éd., 2019. Précis. Paris: Dalloz, 2018, §251, p. 272.

[2] V. notamment à ce sujet l’ouvrage Ury, William. Comment réussir une négociation. Seuil. Paris, 2021.

[3] À la différence de certains droits européens. À titre d’exemple le droit allemand est plus strict[3] en considérant qu’il convient de se mettre d’accord sur tous les points du contrat avant de considérer qu’il est conclu BGB Allemand, art. 154 : « Solange nicht die Parteien sich über alle Punkte eines Vertrags geeinigt haben, über die nach der Erklärung auch nur einer Partei eine Vereinbarung getroffen werden soll, ist im Zweifel der Vertrag nicht geschlossen. Die Verständigung über einzelne Punkte ist auch dann nicht bindend, wenn eine Aufzeichnung stattgefunden hat » ; [nous traduisons] « Tant que les parties ne se sont pas mises d'accord sur tous les points d'un contrat sur lesquels un accord doit être conclu selon la déclaration d'une seule partie, le contrat n'est pas conclu en cas de doute. L'accord sur les points individuels n'est pas contraignant même si un acte rédigé a eu lieu ».

[4] Notons que les contrats de négociation ont un autre avantage car il n’existe pas d’avant-contrat implicite par lequel chacune des parties s’engagent à répondre aux fautes commises par elle au cours de la négociation (Même en présence de conditions générales applicable par ailleurs dans le cadre des relations entre les parties dans d’autres contrat, Cass. com., 9 avr. 1996, Galerie Kleber – Max Mara, Bull. civ. IV, n°117, p. 99, RTD civ. 1997. 121, obs Maistre).

[5] C.Civ., art. 1100 : les obligations peuvent naître de l’exécution volontaire ou de la promesse d’exécution d’u devoir de conscience envers autrui.

[6] En pratique ces contrats contiendront les éléments suivants : un accord pour négocier ; les délais de négociation ; la qualité des personnes chargées de discuter ; les modalités des discussions – lieu, moment, délai entre les retours des parties… des responsabilités en cas de rupture ; en principe, les négociations ne se font pas sur la base d’une obligation de résultat de négocier, mais une obligation de moyens (Soc. 19 déc., 1989, n°88-13388).

[7] C.civ., art. 1112-1. Cette information est en général considérée comme une information pertinente qui peut par exemple entraîner le réexamen de certaines conditions du contrat (v. Terré, François, Philippe Simler, Yves Lequette, et François Chénedé. Droit civil: les obligations. 12e éd., 2019. Précis. Paris: Dalloz, 2018, §332, p. 370). Notons que l’obligation d’information précontractuelle ne concerne pas celles qui viennent motiver un contractant, mais qui ne sont pas directement liée à la bonne exécution du projet – par exemple la rentabilité économique futur du système n’est pas une information précontractuelle obligatoire. Même si le client peut négocier pour qu’une clause de retour sur investissement figure au contrat, le prestataire n’est pas contraint d’indiquer de lui-même les gains d’exploitations escomptés), ou à tout le moins, entraîne la modification de certaines conditions contractuelles, le prestataire doit faire comprendre au client l’importance de cette information.