Il est légal d’exproprier afin de constituer une réserve foncière même en l’absence d’urgence à le faire

Il n’est pas nécessaire de fonder l’expropriation d’un terrain sur une circonstance démontrant que la réalisation ultérieure d’une opération ou d’un projet serait menacée.

L’arrêt commenté ici de la Cour administrative d’appel de Toulouse du 6 février 2024, aborde la délicate question de l’expropriation en vue de la création d’une réserve foncière.

1°) Les conditions de l’expropriation afin de constituer une réserve foncière

L’article L. 221-1 du Code de l’urbanisme autorise certaines personnes publiques ainsi que les concessionnaires d’aménagement et les sociétés publiques locales d’aménagement, à acquérir par voie d’expropriation des terrains pour constituer des réserves foncières en vue de la réalisation d'une action ou d'une opération d'aménagement répondant aux objets définis à l'article L. 300-1 du même code.

L’article L. 300-1 définit une liste d’objets pouvant constituer des actions et d’opérations d’aménagement telles que notamment : un projet urbain, une politique locale de l'habitat, la mutation, le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques et la réalisation des équipements collectifs.

La jurisprudence définit plusieurs conditions issues de la jurisprudence du Conseil d’Etat (21 mai 2014, req. n°354804). Il faut :

  • justifier, à la date à laquelle la procédure de déclaration d'utilité publique est engagée, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date,
  • faire apparaître la nature du projet envisagé dossier d'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique. 
  • Comme pour toute expropriation, il faut aussi démontrer son caractère d’utilité publique.

Une manière logique d’appréhender l’utilité publique dans ce cas, aurait pu consister à rechercher s’il existe une circonstance justifiant qu’il soit nécessaire de procéder à une expropriation rapidement, avant même que l’opération ou le projet soit défini dans toutes ses caractéristiques, en sécurisant le foncier.

Ce n’est pas la logique adoptée par la Cour administrative d’appel de Toulouse.

2°) Absence de nécessité de justifier de l’urgence

Selon la Cour, aucune disposition du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique n'impose à la collectivité souhaitant constituer une réserve foncière, de justifier d'une situation d'urgence pour requérir l'expropriation des terrains nécessaires à la réalisation de ce projet, dès lors qu'elle justifie de la réalité d'un projet d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme.

C’est-à-dire que l’appréciation de l’utilité publique porte uniquement sur le projet ou de l’opération en vue de laquelle une expropriation est mise en œuvre. Le procédé consistant à constituer une réserve foncière n’entre dans le cadre de cet examen : il s’agit seulement d’un moyen pour parvenir à réaliser le projet ou l’opération.

La solution est assez souple avec les expropriants. Elle leur permet en effet de constituer des réserves foncières alors même que rien n’indique que le même objectif ne pourrait être atteint ultérieurement, par le biais d’une expropriation classique, fondée sur un dossier entièrement abouti.

Réf. : CAA de TOULOUSE, 2ème chambre, 06/02/2024, 21TL02947