Nouvelles précisions sur les conséquences de l’annulation d’un sursis à statuer et sur l’application de l’article L.600-2 du code de l’urbanisme
CE, 13 novembre 2023, n°466407, Lebon
L’arrêt ici commenté apporte deux importantes précisions pour le contentieux des autorisations d’urbanisme.
La première précision est relative à l’injonction pouvant être prononcée en cas d’annulation d’un sursis à statuer sur une demande d’autorisation d’urbanisme.
On sait qu’en cas d’annulation d’un refus d’autorisation, le juge peut prononcer, sous conditions, une injonction de délivrance de l’autorisation sollicitée et non une simple injonction de réexamen de la demande (CE, avis, 25 mai 2018, n°417350, Lebon).
La réponse était moins certaine pour l’annulation des sursis à statuer : l’illégalité d’un sursis à statuer n’implique pas nécessairement que la demande soit conforme aux règles en vigueur, ce qui pourrait justifier une simple injonction de réexamen.
Le Conseil d’État transpose cependant à l’annulation des sursis à statuer la solution retenue pour l’annulation des refus et décide que :
« Lorsque le juge annule un refus d'autorisation d’urbanisme, y compris une décision de sursis à statuer, ou une opposition à une déclaration, après avoir censuré l’ensemble des motifs que l'autorité compétente a énoncés dans sa décision conformément à l’article L. 424-3 du code de l'urbanisme ainsi que, le cas échéant, les motifs qu'elle a pu invoquer en cours d'instance, il doit, s'il est saisi de conclusions à fin d'injonction, ordonner à l'autorité compétente de délivrer l'autorisation ou de prendre une décision de non-opposition, sur le fondement de l’article L. 911-1 du code de justice administrative Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction soit que les dispositions en vigueur à la date de la décision annulée, qui eu égard à l’article L 600-2 du code de l’urbanisme demeurent applicables à la demande, interdisent de l’accueillir pour un motif que l’administration n’a pas relevé, ou que par suite d'un changement de circonstances, la situation de fait existant à la date du jugement y fait obstacle ».
La seconde précision apportée par l’arrêt commenté est relative à l’application de l’article L.600-2 du code de l’urbanisme lorsqu’une décision statuant sur la demande d’urbanisme intervient avant que l’annulation du refus ou du sursis à statuer soit définitive.
Pour rappel, selon cet article L.600-2, « Lorsqu'un refus opposé à une demande d'autorisation d'occuper ou d'utiliser le sol ou l'opposition à une déclaration de travaux régies par le présent code a fait l'objet d'une annulation juridictionnelle, la demande d'autorisation ou la déclaration confirmée par l'intéressé ne peut faire l'objet d'un nouveau refus ou être assortie de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme intervenues postérieurement à la date d'intervention de la décision annulée sous réserve que l'annulation soit devenue définitive et que la confirmation de la demande ou de la déclaration soit effectuée dans les six mois suivant la notification de l'annulation au pétitionnaire ».
Le Conseil d’Etat avait déjà décrit dans quelles conditions ces dispositions devaient être appliquées en cas d’injonction de réexamen, dans un arrêt rappelant que l’application de l’article L.600-2 dépend du caractère définitif de l’annulation du refus d’autorisation d’urbanisme (CE, 23 février 2017, n°395274, Tables Lebon).
L’arrêt commenté paraît impliquer que les dispositions de l’article L.600-2 trouvent également à s’appliquer, provisoirement, avant même que l’annulation du refus soit définitive.
Un permis peut ainsi être délivré sur le fondement de l’article L.600-2 alors que l’annulation n’est pas définitive.
Les tiers peuvent contester ce permis sans qu’on leur oppose les termes de la décision juridictionnelle ayant annulé le refus.
L’administration dispose ensuite de la possibilité de retirer l’autorisation délivrée si, finalement, la décision juridictionnelle annulant le refus est annulée ou fait l’objet d’un sursis à exécution :
« lorsqu'un refus de permis de construire ou une décision d'opposition à une déclaration préalable a été annulé par un jugement ou un arrêt et que le pétitionnaire a confirmé sa demande ou sa déclaration dans le délai de six mois suivant la notification de cette décision juridictionnelle d'annulation, l'autorité administrative compétente ne peut rejeter la demande de permis, opposer un sursis à statuer, s'opposer à la déclaration préalable dont elle se trouve ainsi ressaisie ou assortir sa décision de prescriptions spéciales en se fondant sur des dispositions d'urbanisme postérieures à la date du refus ou de l'opposition annulé. Toutefois, le pétitionnaire ne peut bénéficier de façon définitive du mécanisme institué par l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme que si l'annulation juridictionnelle de la décision de refus ou d'opposition est elle-même devenue définitive, c'est-à-dire, au sens et pour l'application de ces dispositions, si la décision juridictionnelle prononçant cette annulation est devenue irrévocable. Par suite, dans le cas où l'autorité administrative a délivré le permis sollicité ou pris une décision de non-opposition sur le fondement de ces dispositions, elle peut retirer cette autorisation si le jugement ou l'arrêt prononçant l'annulation du refus ou de l'opposition fait l'objet d'un sursis à exécution ou est annulé, sous réserve que les motifs de la nouvelle décision juridictionnelle ne fassent pas par eux-mêmes obstacle à un autre refus, dans le délai de trois mois à compter de la notification à l'administration de cette nouvelle décision juridictionnelle. L'administration doit, avant de procéder à ce retrait, inviter le pétitionnaire à présenter ses observations. L'autorisation d'occuper ou utiliser le sol délivrée au titre de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme peut être contestée par les tiers sans qu'ils puissent se voir opposer les termes du jugement ou de l'arrêt ayant annulé le refus ou la décision d'opposition »
Dans le cas d’espèce, un maire s’était opposé à deux déclarations préalables en 2015.
Ces décisions avaient été annulées par un arrêt d’une Cour administrative d’appel du 20 décembre 2018.
Avant que cet arrêt devienne définitif et après la confirmation de sa demande par le pétitionnaire, le maire avait opposé deux sursis à statuer le 15 février 2019 en se fondant sur l’état d’avancement d’un futur PLU.
L’état d’avancement de ce futur PLU avait été apprécié par le maire à la date des sursis à statuer prononcés et non à la date des oppositions à déclaration préalable de 2015. Il n’avait donc pas été fait application de l’article L.600-2 du code de l’urbanisme.
La Cour avait annulé ces sursis à statuer (CAA Lyon, 28 juin 2022, 20LY02165) en ayant estimé que les conditions d’application de l’article L.600-2 du code de l’urbanisme étaient en réalité remplies alors même que l’arrêt annulant les oppositions à déclaration préalable n’était pas définitif à la date à laquelle les sursis à statuer avaient été prononcés.
La Cour avait pris la précaution de souligner les circonstances particulières de l’espèce, relevant que le maire « ne pouvait ignorer, à la date à laquelle il a pris ses décisions, que la commune n'entendait pas former un pourvoi contre l'arrêt rendu par la cour ».
Cette précaution était inutile selon le Conseil d’État, jugeant que « Pour annuler les arrêtés du 15 février 2019 au motif que la commune de Saint-Didier-au-Mont-d'Or ne pouvait légalement surseoir à statuer sur les déclarations préalables en se fondant sur l'état d'avancement du nouveau plan local d'urbanisme dans son état à la date de ces arrêtés, la cour administrative d'appel de Lyon s'est fondée sur ce que M. et Mme C... ont confirmé ces déclarations préalables sur le fondement de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme dans le délai de six mois suivant la notification de l'arrêt du 20 décembre 2018 par lequel la cour a annulé les décisions d'opposition à ces déclarations. […] en statuant ainsi, elle n'a pas commis d'erreur de droit. Si elle a en outre relevé que le maire ne pouvait ignorer, à la date des arrêtés annulés, que la commune n'introduirait pas de pourvoi en cassation contre l'arrêt du 20 décembre 2018 et qu'aucun pourvoi en cassation n'a par la suite été introduit par la commune, ces motifs présentent un caractère surabondant et ne peuvent être utilement critiqués en cassation ».