Conséquences de la modification d’une demande d’autorisation d’urbanisme par la production de pièces nouvelles en cours d’instruction.

CE, 1er décembre 2023, n°448905, Lebon

L’arrêt ici commenté apporte des éclaircissements bienvenus sur une situation courante en pratique, où le pétitionnaire modifie son projet en cours d’instruction de sa demande d’autorisation d’urbanisme, parfois substantiellement et quelques jours avant la fin du délai d’instruction.

Cette situation pouvait poser de sérieuses difficultés à l’administration devant alors réinstruire la demande au vu de nouvelles pièces et avant la naissance d’une autorisation tacite à bref délai. Dans ce cas de figure, la tentation de refuser des pièces nouvelles pouvait être grande bien que le code de l’urbanisme ne le permette pas.

Il était aussi envisageable la production spontanée par le pétitionnaire de pièces nouvelles implique un nouveau délai d’instruction mais le code de l’urbanisme ne le prévoit pas expressément, laissant peser la menace d’une autorisation tacite. C’est d’ailleurs ce que rappelait en l’espèce l’arrêt de la Cour administrative faisant l’objet du pourvoi en cassation et finalement annulé (CAA Marseille, 19 novembre 2020, n°19MA05781).

Le Conseil d’État donne désormais la marche à suivre dans son nouvel arrêt, selon lequel :

« En l'absence de dispositions expresses du code de l'urbanisme y faisant obstacle, il est loisible à l'auteur d'une demande de permis de construire d'apporter à son projet, pendant la phase d'instruction de sa demande et avant l'intervention d'une décision expresse ou tacite, des modifications qui n'en changent pas la nature, en adressant une demande en ce sens accompagnée de pièces nouvelles qui sont intégrées au dossier afin que la décision finale porte sur le projet ainsi modifié. Cette demande est en principe sans incidence sur la date de naissance d'un permis tacite déterminée en application des dispositions mentionnées ci-dessus. Toutefois, lorsque du fait de leur objet, de leur importance ou de la date à laquelle ces modifications sont présentées, leur examen ne peut être mené à bien dans le délai d'instruction, compte tenu notamment des nouvelles vérifications ou consultations qu'elles impliquent, l'autorité compétente en informe par tout moyen le pétitionnaire avant la date à laquelle serait normalement intervenue une décision tacite, en lui indiquant la date à compter de laquelle, à défaut de décision expresse, la demande modifiée sera réputée acceptée. L'administration est alors regardée comme saisie d'une nouvelle demande se substituant à la demande initiale à compter de la date de la réception par l'autorité compétente des pièces nouvelles et intégrant les modifications introduites par le pétitionnaire. Il appartient le cas échéant à l'administration d'indiquer au demandeur dans le délai d'un mois prévu par l'article R. 423-38 du code de l'urbanisme les pièces manquantes nécessaire à l'examen du projet ainsi modifié »

L’arrêt affirme ainsi tout d’abord le droit du pétitionnaire, sauf interdiction prévue au code de l’urbanisme, de modifier son projet en cours d’instruction par la production de pièces nouvelles devant être intégrées au dossier et prises en compte. Il est donc exclu de refuser ces pièces nouvelles sauf, peut-être, dans le cas où elles impliquent de modifier la nature du projet (hypothèse qui en pratique devrait être très rare).

En principe, la production de pièces nouvelles sera sans incidence sur le délai d’instruction et sur la date de naissance d’une autorisation tacite.

Cependant, ce principe est concilié avec la nécessité de laisser à l’administration la capacité d’instruire régulièrement et dans des conditions normales la demande ainsi modifiée.

En conséquence, lorsque l’examen des modifications résultant des pièces nouvelles ne peut être mené à bien dans le délai d’instruction du fait de leur objet, de leur importance ou de la date à laquelle elles sont présentées, l’administration sera regardée comme saisie d’une demande nouvelle à compter de la réception des pièces nouvelles.

L’administration devra alors :

  • En informer par tout moyen le pétitionnaire avant la date à laquelle serait normalement intervenue une décision tacite, en lui Indiquant la nouvelle date à compter de laquelle une décision tacite va naître à défaut de décision expresse ;
  • Demander le cas échéant dans le délai d’un mois les pièces manquantes nécessaires à l’examen du projet ;
  • Instruire la demande au regard des pièces initiales et des pièces nouvelles et notamment, le cas échéant, procéder aux consultations requises.

Au vu de cette nouvelle jurisprudence, on peut supposer que les futurs contentieux porteront sur la question de savoir si telle ou telle modification pouvait justifier un nouveau délai d’instruction du fait de son objet, de son importance ou de la date à laquelle elle est présentée.

Il conviendra aussi de prendre garde à la situation particulière où le pétitionnaire bénéficie de la cristallisation des règles d’urbanisme, par exemple par la délivrance antérieure d’un certificat d’urbanisme. Faudra-t-il, dans le cadre de l’article L.410-1 du code de l’urbanisme, prendre en considération la date de dépôt de la demande initiale ou des nouvelles pièces ? Par ailleurs, on notera que la solution retenue par le Conseil d’État était déjà en germe dans certaines jurisprudences de juridictions d’appel et de première instance (CAA Versailles, 10 mai 2012, n°10VE02841 ; TA Montreuil, 28 juin 2012, n°1105598 ; CAA Paris, 15 décembre 2016, n°15PA01824).