Plateformes : Airbnb, éditeur plutôt qu’hébergeur de contenus

Par un arrêt du 3 janvier 2023, la Cour d’Appel de Paris a confirmé que le rôle actif tenu par Airbnb sur sa plateforme lui conférait la responsabilité d’éditeur de cette dernière.

Cette affaire concerne un appartement situé dans le quartier prisé du Marais, à Paris, loué par sa propriétaire à des fins d’habitations.

La locataire avait cependant quasi-exclusivement utilisé ce bien afin de le sous-louer illégalement via la plateforme AirBnB, pendant 534 jours en 2016 et 2017.

Outre la locataire malveillante, la propriétaire avait alors assigné l’entreprise Airbnb en réparation du préjudice économique subi. Elle motivait cette assignation en arguant qu’il appartenait à la plateforme de s’assurer de la licéité des annonces publiées sur son site.

En première instance, Airbnb avait déjà tenté d’échapper à cette responsabilité en revendiquant un simple statut d’hébergeur de la plateforme.

La loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 (LCEN) a en effet organisé les régimes de responsabilité des opérateurs de sites internet et plateformes en ligne pour les cas où ces derniers servent de support à la publication de contenus illicites.

Selon ce texte, l’éditeur du service de communication en ligne est la personne déterminant les contenus mis à la disposition du public via ce dernier. Il est donc en toute logique responsable de la licéité des contenus qu’il publie.

L’hébergeur, quant à lui, n’assure qu’une prestation de stockage et de mise à disposition : ce sont les utilisateurs du service qui publient des contenus.

A ce titre, l’hébergeur n’est pas directement responsable de la licéité desdits contenus ; l’article 6-1-7 de la LCEN dispose qu’il n’est pas soumis à une obligation générale de surveillance, ou de recherche des éventuels contenus illicites. Sa responsabilité n’est engagée, comme l’avait établi le Conseil constitutionnel le 10 juin 2004, que si l’information lui est rapportée comme étant manifestement illicite par un tiers, ou si un juge en ordonne le retrait.

Airbnb insistait donc sur son rôle de plateforme collaborative, permettant à des particuliers de publier des annonces qu’ils rédigent eux-mêmes et dont ils assument seuls la responsabilité. Simple intermédiaire technique mettant le site à disposition, elle ne saurait selon elle être titulaire d’une obligation de vérifier, en l’absence de tout signalement, la licéité des annonces.

Ce raisonnement n’a pas convaincu le tribunal judiciaire de Paris, qui qualifiait le 5 juin 2020 Airbnb d’éditeur pleinement responsable des contenus publiés.

La Cour d’Appel de Paris a confirmé le 3 janvier 2022 ce jugement, apportant plusieurs précisions quant aux critères caractérisant le rôle actif d’Airbnb sur sa plateforme.

La Cour met ainsi en avant les nombreuses consignes imposées par Airbnb pour la diffusion d’une annonce, et du respect imposé de certaines normes pour l’accueil des voyageurs. Ces règles sont détaillées dans de nombreux documents produits par la propriétaire intimée : « valeurs et attentes d’Airbnb », « règles d’Airbnb en matière de contenu »…

Ces contraintes sont assorties de sanctions : la société use ainsi d’un droit discrétionnaire de supprimer tout contenu en désaccord avec ses lignes directrices. A l’opposé, Airbnb peut également mettre en avant certaines annonces et récompenser les hôtes qui respectent le mieux ses consignes.

La Cour note enfin qu’Airbnb s’était même immiscée dans les relations contractuelles entre hôtes et voyageurs, en décidant unilatéralement de rembourser les personnes ayant réservé un séjour pendant la période de confinement.

Le statut d’éditeur d’Airbnb est donc confirmé, lui imposant de rechercher activement et de supprimer les contenus illicites.

La Cour note par ailleurs que la société dispose bien des moyens lui permettant d’honorer cette obligation, puisqu’elle fournit déjà ses usagers à des mesures de contrôle d’identité.

Cet arrêt constitue un nouveau jalon dans la tendance vers une responsabilité croissante des opérateurs de plateformes quant aux comportements illicites facilités par leurs services.

Le cas d’espèce est particulièrement parlant : il est manifeste que la sous-location illicite était l’objectif unique de la locataire, entrée dans les lieux le 1er mars 2016 et l’ayant exploité à cette fin via Airbnb quasiment en continu à partir du 5 mars.

De tels usages d’Airbnb comme support de locations illicites sont répandus, au point que la ville de Paris avait dû mettre en place un dispositif d’autorisation préalable pour combattre le détournement des logements de leur usage principal. La Cour de cassation avait validé ce plan par un arrêt du 18 février 2021.

Les opérateurs de plateformes numériques se voient donc encore une fois confirmer leur responsabilité dans la modération des contenus dont ils permettent la publication. Le statut préférentiel d’hébergeur, plus que jamais, semble relégué aux stricts opérateurs techniques.

Le département Contrats informatiques, données & conformité vous accompagne dans la gestion de vos sites webs et plateformes, tant en conseil qu’en contentieux.

Pour toute question, n’hésitez pas à nous contacter.