Logiciels dématérialisés : la Cour de Cassation revient sur l’épuisement des droits

La directive européenne 2009/24/CE du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur limite, en son article 4, le contrôle que doit avoir l’éditeur d’un logiciel quant à sa distribution au-delà de la commercialisation initiale :

« La première vente d'une copie d'un programme d'ordinateur dans la Communauté par le titulaire du droit ou avec son consentement épuise le droit de distribution de cette copie dans la Communauté, à l'exception du droit de contrôler des locations ultérieures du programme d'ordinateur ou d'une copie de celui-ci. »

Cela signifie que l'auteur ne peut plus, une fois son logiciel sur le marché, imposer de conditions de commercialisation sur le fondement de son droit d'auteur, sauf accords contractuels.

Dans plusieurs arrêts de 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation a précisé les modalités d’application de cette disposition, transposée en droit français, aux logiciels modernes commercialisés de manière dématérialisée et sans recours à un support physique qui pourrait circuler au-delà de sa vente initiale.

Le première arrêt est celui de la Cour de Cassation du 6 mars 2024 (n° 22-22.651 ; n° 22-18.818 ; n° 22-23.657) : Ces trois affaires concernent la clause de réserve de propriété dont se prévalait un éditeur de logiciels, pour exiger paiement du prix de ses produits auprès des sous-acquéreurs de sa cliente placée en liquidation judiciaire, ces derniers. La société d’affacturage ayant racheté les créances de la cliente en liquidation objectait que l’octroi de licences sur un logiciel téléchargeable constituait un contrat de louage de choses, et non un contrat de vente auquel la clause de réserve de propriété serait applicable.

La chambre commerciale, devant laquelle se présente le litige, reprend strictement la jurisprudence établie sur le sujet par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE, 3/07/2012, C – 128/11 ; 12/10/2016, C- 166/15 ; 16/09/2021, C – 410/19), interprétant la directive 2009/24/CE précitée :

« la mise à disposition d’une copie d’un logiciel informatique, au moyen d’un téléchargement, et la conclusion d’un contrat de licence d’utilisation y afférent, visant à rendre la copie utilisable par les clients, de manière permanente, et moyennant le paiement d’un prix destiné à permettre au titulaire du droit d’auteur d’obtenir une rémunération correspondant à la valeur économique de la copie de l’œuvre dont il est propriétaire, impliquent le transfert du droit de propriété de cette copie ».

Sans surprise, la Cour en conclut que le transfert du droit de propriété sur le logiciel téléchargé, qu’induit son téléchargement accompagné de l’octroi d’une licence d’utilisation, doit être assimilé à un contrat de vente. Partant, la clause de réserve de propriété stipulée par l’éditeur est applicable.

Les éditeurs de logiciel ont donc tout intérêt à inclure une telle clause dans la documentation contractuelle afférente à leurs logiciels vendus par téléchargement. A noter, toutefois, que cet arrêt n’est transposable qu’au modèle SaaS, où ledit téléchargement n’a pas lieu et le logiciel est directement accessible en ligne.

Cass. 1E Civ., 23 octobre 2024, 23-13.738 :

Cet arrêt rendu en octobre dernier vient mettre un point final à 10 années de litige entre l’UFC que choisir et la société américaine Valve, éditrice de la plateforme de vente de jeux vidéo dématérialisés « Steam ».

Si la revente de jeux vidéo d’occasion sur supports physiques (disques) est une pratique répandue, la plateforme de Valve ne permet pas une telle revente. Pour l’association de consommateurs, cette restriction constituait une violation de la règle de l’épuisement des droits d’auteur suite à la première vente du logiciel, telle qu’elle ressort de la directive et de sa transposition à l’article L122-3-1 du code de la propriété intellectuelle.

La Cour de cassation, toutefois, ne va pas dans ce sens et effectue une distinction entre les notions de logiciel et de jeu vidéo, comme avait déjà pu le faire la CJUE (CJUE, 23/01/2014, Nintendo, C-355/12). Ainsi, si le jeu vidéo se compose en partie de programmes informatiques, il constitue une œuvre plus complexe que le logiciel, « en ce qu'il comprend des composantes logicielles ainsi que de nombreux autres éléments tels des graphismes, de la musique, des éléments sonores, un scénario et des personnages ».

La Cour note également que « à la différence d'un programme d'ordinateur destiné à être utilisé jusqu'à son obsolescence, le jeu vidéo se retrouve rapidement sur le marché une fois la partie terminée et peut, contrairement au logiciel, être encore utilisé par de nouveaux joueurs plusieurs années après sa création. »

Ces différences amènent la Cour à considérer que les jeux vidéo dématérialisés n’entrent pas dans le champ de la lex specialis que constitue la directive de 2009. Partant, ils ne sont pas soumis à la règle de l’épuisement des droits d’exploitation au-delà de la première distribution.

La décision vient donc mettre fin au débat sur la possible existence d’un marché du jeu vidéo dématérialisé « d’occasion ». Si les joueurs en seront pour leurs frais, la position des éditeurs, qui conservent ainsi un contrôle total sur la distribution de leurs œuvres dématérialisées, s’en trouve renforcée.

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