Effet domino dans les ensembles contractuels : la Cour de cassation rappelle la caducité 

La question de la caducité des contrats au sein d’un même ensemble se pose fréquemment dans les projets ou prestations informatiques (intégration, licence, maintenance, hébergement).

Que se passe-t-il alors lorsque l’un d’entre eux disparaît ? Les autres contrats deviennent-ils automatiquement caducs ou continuent-ils à produire leurs effets ?

Trois arrêts rendus par la Cour de cassation le 5 février 2025 (n°23-23.358 ; n°23-14.318 ; n°23-16.749) portent des rappels utiles sur les conditions de mise en œuvre de la caducité au sein d’un ensemble contractuel et sur la question de la résolution unilatérale.

I. Présentation des arrêts du 5 février 2025

A) Arrêt n°23-23.358

Le 2 décembre 2016, une société N (spécialisée dans le service automobile) avait conclu avec une société de crédit-bail appelée « L », un contrat de location financière portant sur du matériel de bureautique fourni par une société tierce « O », également chargée de la maintenance en vertu d’un contrat distinct conclu avec « N ».

Le 8 janvier 2020, après plusieurs mises en demeure, la société N notifiait à O la résolution du contrat de maintenance, estimant que le fournisseur avait manqué à ses obligations.

Par la suite, la société L assignait N en paiement des loyers impayés. En défense, N invoquait la caducité du contrat de location financière en conséquence de la résolution du contrat de maintenance.

La cour d’appel a rejeté  cette argumentation et condamnait la société N au paiement des loyers, considérant qu’il aurait fallu que la société O (cocontractante du contrat préalablement résolu) fût appelée à l’instance pour que la résolution produise ses effets. La société N s’est donc pourvue en cassation.

La Cour de cassation a toutefois cassé cette analyse et rappelle, sur le fondement de l’article 1186, alinéas 2 et 3, du Code civil, que lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparaît, sont caducs les autres contrats dont l’exécution dépendait de celui qui a disparu, à la condition que le cocontractant contre lequel on invoque la caducité ait eu connaissance de l’opération d’ensemble. En outre, la Haute juridiction précise, au visa des articles 1224 et 1226 du Code civil, que la résolution unilatérale peut être notifiée sans qu’une confirmation judiciaire soit nécessaire. Elle est opposable à la partie visée par la caducité, sans qu’il faille mettre en cause le cocontractant du contrat disparu.

B) Arrêt n°23-14.318

À la même date, la Cour de cassation a statué sur une affaire similaire. En février 2016, une société B a conclu un contrat de location financière avec la société G portant sur un logiciel fourni par la société R. Après avoir constaté de graves dysfonctionnements, B adressait deux courriers recommandés en février 2017 à la fois au fournisseur R et à G pour notifier la « rupture » du contrat, sans effet.

En réaction au non-paiement des loyers, G notifiait à B la résiliation du contrat de location financière le 19 juillet 2017, puis l’assignait afin d’obtenir le paiement des sommes dues et la restitution du matériel.

En cause d’appel, les juges donnaient raison à B, estimant que la résiliation unilatérale du contrat avec le fournisseur R en février 2017 entraînait la caducité du contrat de location financière.

G s’est pourvue alors en cassation, considérant que la société R n’avait pas été appelée en cause et que la caducité ne pouvait donc être prononcée.

La Cour de cassation rejette le pourvoi, réaffirmant que la notification unilatérale de la rupture au fournisseur suffit à faire disparaître le contrat principal et à entraîner, par voie de conséquence, la caducité de la location financière.

C) Arrêt n°23-16.749

Dans cette troisième affaire, la société E a conclu avec la société L un contrat de crédit-bail portant sur du matériel d’éclairage, destiné à réaliser des économies d’énergie, fourni et installé par la société H. Le même jour, E signait avec H un contrat de maintenance et de service d’une durée de 10 ans relatif à ce matériel.

Par la suite, la société H faisait l’objet d’une liquidation judiciaire et le juge-commissaire prononçait la résiliation du contrat liant H à E.

La société E assignait alors L (aux droits de laquelle est intervenue la société T) ainsi que le liquidateur de H afin de faire constater la caducité du contrat de crédit-bail et obtenir le remboursement des loyers déjà réglés.

Selon l’arrêt d’appel, la maintenance du matériel n’était pas prouvée comme indispensable au bon fonctionnement du dispositif d’éclairage.

La Cour de cassation censure toutefois la décision, rappelant qu’il incombait aux juges du fond de vérifier si la conclusion du contrat de crédit-bail avait été faite en considération du contrat de maintenance et de service, censé garantir un certain niveau d’économies d’énergie. Cette considération subjective pouvait justifier que la disparition du contrat de maintenance rende caduc le crédit-bail. Faute d’avoir examiné la preuve de cette condition déterminante, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

II. Les règles relatives à la caducité dans les ensembles contractuels

A) Les deux rappels essentiels

De ces arrêts, deux rappels essentiels se dégagent :

1. sous l’empire du droit ancien et nouveau (après la réforme de 2016 donc), la résolution unilatérale d’un contrat n’a pas à être confirmée par le juge pour entraîner la caducité d’un autre contrat composant le même ensemble. Autrement dit, la caducité « s’active » de plein droit dès lors que le contrat interdépendant a disparu.

2. L’interconnexion des contrats repose alternativement sur un critère objectif (plusieurs contrats sont nécessaires à la réalisation d’une même opération) et sur un critère subjectif (les contrats sont conclus en considération les uns des autres).

    B) Notion et conditions de la caducité

    La caducité se définit comme la disparition d’un contrat en cours d’exécution, causée par la perte d’un élément essentiel postérieurement à sa formation. Codifiée depuis la réforme du droit des obligations de 2016 aux articles 1186 et 1187 du Code civil, elle suppose trois conditions cumulatives :

    1. l’extinction d’un contrat faisant partie de l’ensemble contractuel (que cette extinction résulte d’une résiliation, d’une résolution judiciaire, unilatéral, d’une annulation, etc.) ;

    2. la preuve de l’ensemble contractuel, qui peut reposer :

    • sur un critère objectif, si l’exécution du contrat restant devient impossible ou dépourvue d’intérêt pratique ;
    • sur un critère subjectif, si la conclusion du contrat restant était déterminée par la conclusion de l’autre contrat ;

    3. la connaissance de l’opération d’ensemble par la partie à laquelle on oppose la caducité.

    Dans les affaires présentées, les débats ont principalement porté sur la première et la deuxième de ces conditions (nature de l’extinction et caractérisation de l’ensemble contractuel).

    Dans les deux premiers arrêts, la Cour de cassation confirme qu’une résolution ou résiliation unilatérale vaut extinction du contrat, sans exiger de constat judiciaire préalable. Dès lors que l’un des contrats « pilotes » de l’opération est anéanti, la caducité du contrat interdépendant peut s’imposer automatiquement (même en cas de résolution abusive). Les dommages-intérêts pouvant être ultérieurement réclamés par la voie de la responsabilité contractuelle (v. not. 12 juillet 2017, n°15-23.552 et 15-27.703 ; Cass. com., 26 mars 2013, n°12-11.688).

    Dans son troisième arrêt, la Haute Cour rappelle l'importance d'apprécier non seulement le critère objectif, mais également le critère subjectif afin de rejeter une demande de caducité, ce que la Cour d’appel n’avait pas fait. Pour le contrat postérieur à la réforme de 2016, cette question est largement clarifiée par la rédaction de l’article 1186 du Code civil, qui dispose que :

    Lorsque l'exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d'une même opération et que l'un d'eux disparaît, sont caducs les contrats :
    a) dont l'exécution est rendue impossible par cette disparition ;
    b) ceux pour lesquels l'exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d'une partie.

    Cependant, pour les contrats conclus avant la réforme du droit des obligations, tels que ceux de cet arrêt, cette règle relevait exclusivement de la jurisprudence. Certains auteurs soutenaient même que l’indivisibilité contractuelle devait être expressément stipulée pour que les contrats concernés ne soient pas considérés comme juridiquement indépendants.

    Cela étant dit, hier comme aujourd’hui la démonstration de l’indivisibilité subjective constitue une difficulté majeure dans la mesure où elle repose sur la volonté des parties, laquelle doit être formalisée par écrit pour être prouvée. C’est pourquoi, en pratique, la plupart des décisions prononçant la caducité des contrats se fondent sur un critère objectif, à savoir l’impossibilité d’exécution :

    • L’arrêt Oracle Faurecia (Cass. com., 13 févr. 2007, n° 05-17.407) illustre cette approche en retenant l’absence d’intérêt des prestations de maintenance et de formation en l’absence des licences correspondantes ;
    • De même, la jurisprudence a jugé que la disparition du contrat de déploiement pouvait entraîner la caducité des licences, celles-ci devenant dénuées d’intérêt (Cass. com., 26 mars 2013, n° 12-11.688 ; CA Paris, pôle 1, ch. 3, 3 oct. 2018, n° 18/03002).

    Le cas le plus caractéristiques demeurant celui de la location financière, qui bénéficie d’une forme de présomption d’interconnexion avec les contrats sous-jacents, comme en témoignent plusieurs décisions de la Cour de cassation (Com., 12 juill. 2017, n° 15-23.552 et n° 15-27.703 ; Ch. mixte, 17 mai 2013, n° 11-22.768 et n° 11-22.927 ; Cass. com., 4 nov. 2014, n° 13-24.270).

    C) Clause d’indivisibilité ou de divisibilité pour l’interconnexion subjective

    Ainsi, pour sécuriser ces opérations fondées sur une interconnexion subjective, il est recommandé de prévoir une clause d’indivisibilité (ou au contraire de divisibilité selon le point de vue adopter) entre les différents contrats.

    Il est à noter toutefois, qu’en cas d’interconnexion objective, les clauses de divisibilité seront réputées non écrites (Cass., ch. mixte, 17 mai 2013, n°11-22.768 et 11-22.927 ; CA Amiens, 22 mai 2014, n°12/02497 ; Com., 10 janv. 2024, n°22-20.466 FS-B+R). En effet, aucune stipulation contractuelle ne peut imposer l’exécution d’un contrat devenu objectivement impossible ou dépourvu d’intérêt.

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