Imprévision et résiliation : (enfin) une première application

Pour la première fois, un Tribunal (le Tribunal de commerce de Paris) a appliqué de manière positive les dispositions de l’article 1195 du Code civil dans son jugement du 14 décembre 2022 (RG 2022/033136).

Dans cette affaire, NEXITY et X signent un contrat cadre de référencement prenant effet rétroactivement le 9 septembre 2020 pour une durée de deux années, soit jusqu’au 31 décembre 2022, renouvelable pour une durée d’un an.

L’évolution de la conjoncture (COVID, guerre en Ukraine…) conduisant à une augmentation très sensible des coûts de l’énergie, des matières premières et des transports à partir de 2020, X a tenté (sans succès) de renégocier avec NEXITY les prix convenus dans le contrat. Faute d’accord, le Tribunal a eu à se prononcer sur l’application de l’article 1195 du Code Civil, relatif à l’imprévision.

A titre liminaire, il convient de préciser que l’article 1195 du Code Civil prévoit que « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe ».

En l’espèce, le Tribunal a constaté la survenance d’un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rendant l'exécution excessivement onéreuse.

Ainsi, le Tribunal a relevé les éléments suivants :

  • Même si le coût de l’énergie connait des fluctuations, aucune des parties n’était en mesure de prendre en compte la hausse exceptionnelle. A cet égard, le Tribunal relève que selon le rapport des CAC, le coût du gaz a augmenté de 316%, l’électricité de 381% et les emballages bois de 192% et que cette situation a entraîné une baisse du résultat d’exploitation/CA de la société-mère de X passant de 8,2% sur la période avril 2020 à mars 2021 à 0,5% sur la période octobre 2021 à mars 2022 ;
  • Les comptes ci-dessus sont ceux de la société-mère mais que cette dernière a répercuté les hausses à ses filiales ;
  • Et de conclure, que les engagements contractuels, compte tenu de ces hausses, sont devenus excessivement onéreux.

Ainsi, le Tribunal prononce la résolution anticipée du contrat mais refuse de modifier les prix du contrat aux motifs que « X ne lui donne pas les éléments nécessaires pour mesurer le bien fondé des modifications du tarif présentées ».

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En dépit de la mise en œuvre par le Tribunal des dispositions de l’article 1195 du Code civil, il convient de relever les réticences des Tribunaux à modifier les engagements des parties, réticences issues de la conception du contrat comme la chose des parties et de son caractère intangible.

Pour éviter, une telle « intrusion légale » du Tribunal, la partie « client » d’un contrat aura tendance à exclure l’application de l’article 1195 du Code Civil alors que la partie « fournisseur » suivra une tendance inverse.

Cette question mérite d’être également posée dans les accords de cession de titres sous conditions suspensives ainsi que les garanties de passif / actif.

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