La mise en ligne des données publiques contrariée par les limites techniques de l’Administration

Par une décision n° 467161 du 20 décembre 2023, publiée au Recueil, le Conseil d’État a jugé que la demande de l’association « Ouvre-Boîte » excède les possibilités techniques de l’Administration, eu regard aux outils informatiques dont elle dispose.

En l’espèce, l’association requérante s’était vu opposer un refus implicite du Ministère de l’Intérieur de sa demande tendant à que lui soit communiqué la totalité des fichiers générés par les collectivités territoriales via l’application « Actes budgétaires » pour l’exercice du contrôle budgétaire en préfecture.

Saisie pour avis, la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) avait rendu un avis favorable, sous réserve du respect des secrets protégés par la loi et des occultations nécessaires.

Saisi du litige, le Tribunal administratif de Paris a fait droit à la demande de l’association requérante, en annulant le refus implicite du ministère et en l’enjoignant de publier les documents sollicités dans un délai d’un an. Les premiers jugent avaient retenu que les documents budgétaires des collectivités territoriales avaient le caractère de documents administratifs communicables. En l’occurrence, ceux dont il était demandé communication étaient disponibles sur l’application « Actes budgétaires », n’avaient pas déjà été mis en ligne et rien ne laissé penser qu’ils contenaient des mentions couvertes par le secret.

C’est ce dernier point du jugement qui a emporté la censure du Conseil d’État.

À suivre Monsieur le rapporteur public Laurent DONINGO dans ses conclusions sur cette affaire, à l’égard de documents à caractère budgétaire : « […] les données personnelles ne figurent pas dans le corps des budgets eux-mêmes, ni même dans celui des comptes administratifs, mais dans les différentes et nombreuses annexes et autres états annexés qui accompagne ces documents ».

Consciente que les documents qu’elle demandait contenaient des données à caractère personnel, l’association « Ouvre-Boîte » avait proposé au ministère d’utiliser un logiciel libre disponible en ligne.

Mais le Conseil d’État de retenir que : « [l]es disposition de l’article L. 311-9 du code des relations entre le public et l’administration, selon lesquelles l’accès aux documents administratifs s’effectue « dans la limite des possibilités techniques de l’administration », font seulement obligation à l’administration de donner accès aux documents demandés en ayant recours, le cas échéant, aux outils informatiques dont elle dispose à la date à laquelle elle se prononce et en utilisant les fonctionnalités dont ceux-ci sont dotés. Elles ne lui font obligation ni de recourir à un logiciel qui serait mis à sa disposition par le demandeur, ni de développer un nouvel outil informatique, ni de développer de nouvelles fonctionnalités sur les outils dont elle dispose ».

Dans ces conditions : « [s]i l'association requérante fait valoir que l'anonymisation des documents pourrait être réalisée à l'aide d'un logiciel libre qu'elle a proposé au ministère d'utiliser, lequel permettrait de supprimer l'ensemble des champs susceptibles de contenir normalement des données à caractère personnel, il résulte de ce qui a été dit […] que les dispositions du code des relations entre le public et l'administration ne font pas obligation aux services du ministère d'y recourir, non plus qu'elles ne lui imposent de développer un outil informatique pour satisfaire la demande dont il est saisi, alors même qu'il disposerait des ressources financières et humaines permettant de réaliser ce développement ».

Force est de reconnaître que la mise en ligne de ces documents budgétaires, ainsi que l’ensemble des annexes qui les accompagnent, aurait nécessité un important travail d'occultation par les services ministériels, cependant que les administrés sont en droit d’attendre un effort raisonnable de la part de l’Administration. D’autant que de nombreuses données publiques sont déjà disponibles en ligne, notamment sur data.gouv (cf. Entrée en vigueur du dispositif de transmission et de publicité des données essentielles des contrats de la commande publique, article du 07 février 2024).

Ce qui semble avoir emporté la conviction du Conseil d’État, suivant en cela son rapporteur public, c’est la part d’aléa sur la fiabilité de l’anonymisation, car : « […] demeure en effet toujours, et notamment parce que, selon les saisies réalisées par les collectivités locales, des données identifiantes peuvent se glisser ailleurs que dans les champs réidentifiés, des risques que des données personnelles demeurent et soient publiées. L’expérience de l’anonymisation – et de ses difficultés – des décisions du juge administratif peut être sollicité ».