Contentieux administratif
Régime de la preuve et protection des informations confidentielles
Le régime de la preuve devant le juge administratif comporte parfois des zones d’ombre, alors que le contentieux de droit privé y attache au contraire une grande importance.
Sans doute, le caractère inquisitoire du contentieux administratif peut-il en partie expliquer que les développements qui y sont consacrés soient moins importants, en cantonnant les parties dans un rôle qui peut sembler secondaire. La fonction du juge dans l’administration de la preuve a d’ailleurs été rappelée en des termes particulièrement clairs par une décision du 20 mai 2020 du Conseil d’État (req. n° 422294) : « Il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction ».
Le secret qui couvre certaines pièces peut faire obstacle à la recherche de la preuve. Ainsi, il a été jugé que, lorsque des pièces sont couvertes par un secret garanti par la loi, le respect de cette exigence implique « que le juge ne peut, sans autorisation de celui dans l'intérêt duquel le secret a été édicté, ni en prendre connaissance, ni les communiquer aux parties » (CE, 10 déc. 1999, req. n° 192453). Le problème est en partie résolu par l’article R. 412-2-1 du Code de justice administrative applicable lorsque la loi prévoit que la juridiction statue sans soumettre certaines pièces ou informations au débat contradictoire ou lorsque le refus de communication de ces pièces ou informations est l'objet du litige. Dans ce cas, le juge peut prendre connaissance des pièces et le cas échéant décider les soumettre au contradictoire s’il estime que le secret invoqué n’est pas applicable.
A la nécessité de respecter le secret de certaines pièces, s’ajoute l’obligation pour les parties de faire preuve de loyauté, ce qui leur interdit d’appuyer leur argumentation sur des éléments obtenus illégalement (CE, 15 avr. 2015, Société Car Diffusion, req. n° 373269, Lebon 144).
Il existe quelques rares références jurisprudentielles, par lesquelles le Conseil d’État s’est refusé à appliquer les obligations qu’il avait lui-même définies (CE, 2 oct. 2017, req. n° 399753 ; CE, 18 janv. 2017, req. n° 394562 ; CE, sect., 8 nov. 1999, req. n° 201966).
La décision du Conseil d’État du 6 mai 2021, publiée aux Tables (req. n° 429075), en est une illustration. Le Conseil d’Etat juge en effet que « la circonstance que des pièces produites au cours d'une instance disciplinaire le seraient en méconnaissance d'une obligation de secret qui pèse sur la partie qui les produit ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce que le juge disciplinaire fonde sa décision sur les pièces en question ou les éléments qu'elles révèlent. Il incombe seulement au juge, après avoir soumis ces pièces au débat contradictoire, de tenir compte de leur origine et des conditions dans lesquelles elles ont été produites pour en apprécier, au terme de la discussion contradictoire devant lui, le caractère probant ».
La nouveauté résulte ici de la circonstance que le secret dont il est question dans cette affaire ne présentait pas de lien avec le fonctionnement d’une personne publique ou d’une personne privée chargée d’une mission de service public : la règle de confidentialité dont le Conseil d’État accepte de s’affranchir, concernait des informations détenues dans le cadre de relations relevant exclusivement du droit privé.
Il ne faut pas exagérer la portée de cette décision, qui semble viser le domaine des procédures disciplinaires. Néanmoins, force est de constater que le Conseil d’État opère une légère diminution du champ de la protection des secrets protégés par la loi.
Conseil d’État, 6 mai 2021, requête n° 429075