Licence logiciel
Le contrat, rien que le contrat s’il existe, pour le non-respect d’une licence logiciel
Lorsque deux personnes décident par contrat de prévoir des conditions d’exécution et de prévoir ce qu’il se passerait en cas d’inexécution de leurs prévisions, alors il convient de juger les manquements à ces prévisions en tenant compte du cadre contractuel ainsi défini. Dans le cas contraire, autoriser deux personnes à former un contrat aurait peu d’utilité.
Ce principe fondamental, qui permet de respecter la volonté des parties, est protégé en droit français par le principe dit de « non-option » qui interdit au créancier contractuel de se prévaloir des règles de la responsabilité délictuelle en cas de manquement du débiteur à ses obligations contractuelles.
Or, ce principe de non-cumul paraît parfois difficile à mettre en œuvre en pratique, notamment :
- Parce qu’il arrive fréquemment que le dommage dont est victime le cocontractant ne se rattache pas clairement au contrat ; les juges sont donc amenés à étendre le périmètre de prévisibilité des parties en y insérant notamment des obligations qualifiées d’accessoires : obligation de sécurité, d’information, de conseil ;
- Ou encore parce qu’il serait parfois « injuste » pour la victime d’un dommage d’appliquer le contrat, moins favorable à celle-ci.
En matière de contrat de licence de logiciel, depuis plusieurs années, ce thème pose des difficultés. En effet, la Cour de justice de l’Union européenne avait déjà estimé que la violation d’une clause d’un contrat de licence d’un logiciel, portant sur des droits de propriété intellectuelle du titulaire du droit d’auteur, relève de la notion d’atteinte aux droits de la propriété intellectuelle et constitue donc une contrefaçon indépendamment du régime de responsabilité applicable selon le droit national (CJUE, 3ème ch., 18 déc. 2019, IT Development c/ Free Mobile, aff. C-666/18).
La Cour d’appel de Paris du 19 mars 2021 rappelle ce qu’il convient de comprendre de l’analyse de l’arrêt de la CJUE précité, en revenant sur cette question de la plus haute importance ; elle applique la règle de non-option dans le cadre d’une affaire au sujet d’une utilisation de licence de logiciel libre non autorisée.
Dans cette affaire, la société Entr’ouvert est propriétaire d’un logiciel dénommé Lasso, qu’elle met à disposition sous licence libre GNU GPL V.2.
La société Orange Business Services a mis à disposition d’un de ses clients un logiciel comprenant l’interfaçage d’une plateforme avec la bibliothèque logicielle Lasso de la société Entr’ouvert.
Entr’ouvert a estimé que la mise à disposition de la bibliothèque libre Lasso au client de Orange Business Services n’était pas conforme aux conditions des articles 1 et 2 de la licence GNU GPL V.2.
En première instance, la société Entr’ouvert a été déboutée de ses demandes, le Tribunal de Grande instance de Paris, le 21 juin 2019, ayant considéré qu’elle n’était pas légitime à réclamer une indemnisation pour atteinte à ses droits sur la base d’une contrefaçon. Entr’ouvert poursuivant en réalité la réparation d’un dommage généré par l’inexécution des obligations contractuelles résultant de la licence, qu’ainsi en application du principe de non-cumul de responsabilités, seul le fondement de la responsabilité contractuelle était susceptible d’être invoqué.
La Cour d’appel confirme ce jugement en confirmant les clés d’interprétation de l’arrêt de la CJUE cité ci-dessus. Pour la Cour d’appel, la CJUE n’autorise pas les parties à choisir entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle ; la CJUE souhaite protéger la possibilité dont dispose tout éditeur d’agir en contrefaçon et de protéger ses droits, tout en admettant qu’il soit possible en fonction du droit des États membres, dès lors qu’un contrat est conclu entre le licencié et l’éditeur, d’obliger l’éditeur à se fonder sur la responsabilité contractuelle du licencié en cas de mauvaise exécution du contrat.
Selon la Cour d’appel, le choix dépend du fait générateur de l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle, si celui-ci résulte :
- D’un acte de contrefaçon, l’action doit être engagée sur le fondement de la responsabilité prévue à l’article L. 335-3 du Code de la propriété intellectuelle ;
- D’un manquement contractuel, le titulaire du droit ayant consenti par contrat à son utilisation sous certaines réserves, alors seule la responsabilité contractuelle est recevable par application du principe de non-cumul.
Entr’ouvert est donc irrecevable à agir sur le fondement délictuel de la contrefaçon (ce qui ne l’empêchera pas d’obtenir un droit à être indemnisée de 150 000 euros par Orange, la Cour d’appel de Paris ayant accédé à sa demande en responsabilité délictuelle pour parasitisme).
En somme, cet arrêt confirme l’application en matière de licence de logiciel du principe de non-option. Nonobstant l’existence d’un contrat et donc d’un cadre de prévisibilité, cette décision pourrait être jugée défavorable aux éditeurs.
Afin de rééquilibrer la situation, il peut être précisé dans les contrats que :
- Le calcul des dommages causés par un manquement contractuel du licencié sera calculé en tenant compte des règles de calcul applicables en matière de contrefaçon ;
- La limite de responsabilité du licencié en cas d’inexécution contractuelle qui causerait un dommage à l’éditeur est élevée au montant d’un cas de contrefaçon ;
- Ou encore, que toute atteinte à un droit de propriété intellectuelle de l’éditeur par le licencié est constitutive d’une faute lourde donnant droit à réparation au-delà de la limite de responsabilité du licencié.
Il apparaît aujourd’hui important pour les éditeurs de revoir leurs politiques contractuelles et tenir compte du principe de non-option pour éviter les atteintes portées à leurs droits par leurs propres clients.