Expertise

La valeur probante d’un rapport d’expertise officieux – point sur la jurisprudence actuelle - La solution d’une expertise amiable ?

Les magistrats fondent parfois leur décision exclusivement sur des rapports d’expertise privés, réalisés à l’initiative d’une seule partie.

Or, le juge ne peut se fonder que sur des éléments ayant été débattus contradictoirement et il doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction (article 16 du Code de procédure civil).

De fait, lorsque seule une des parties produit un tel rapport officieux, l’autre partie peut s’estimer lésée. L’expert privé n’est en effet pas contraint d’appeler les parties à s’expliquer contradictoirement, et ne rend compte qu’à ceux qui l’ont mandaté. Ces rapports peuvent éventuellement être impartiaux, même si l’expert concerné engage sa crédibilité.

C’est pourquoi, la Cour de cassation rappelle dans un arrêt du 14 mai 2020 (Cass. civ. 3ème, 14 mai 2020, n° 19-16278 et 19-16279) que le juge ne peut se fonder exclusivement sur un rapport d’expertise amiable pour prendre une décision.

Cette décision n’implique pas que le juge du fond ait à rejeter le rapport d’expertise officieux, mais qu’il doit corroborer ce qui y est indiqué par d’autres éléments de preuve (Cass. civ. 2ème, 2 mars 2017, n° 16-13337) ou de démonstration.

Les rapports d’expertise privés ont, comme toutes productions légalement obtenues, valeur de preuve dès lors que l’autre partie a pu se défendre et les contester dans ses écritures. En effet, la Cour de cassation avait précisé au juge du fond qu’un rapport régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire des parties n’était pas inopposable (Cass. civ. 1ère, 11 mars 2003, n° 01-01430 et dans le même sens Cass. civ. 2ème., 10 fév. 1988, n° 86-18799 et Cass. com., 17 mai 1994, n° 92-13542).

Cette position de la Cour de cassation entraine-t-elle pour autant la fin des expertises privées, car le contenu ne serait pas utilisable ?

Certes d’un côté, l’expert privé saisi par une seule des parties n’a pas à garantir son impartialité.

Mais, d’un autre côté, les parties peuvent trouver un accord et dans la majorité des cas, les experts nommés à l’amiable dans les situations ou un projet informatique a échoué seront très compétents, et souvent ce sont ces mêmes experts qui sont inscrits sur les listes d’experts judiciaires. Leur rapport peut donc être rédigé avec la même probité que celle qu’aurait mise en œuvre un expert nommé par le juge. Il est alors dommage de priver les parties d’économies pour les contraindre à mettre en œuvre une expertise judiciaire.

C’est donc en ce sens que la Cour de cassation (étant précisé que cette décision est une exception, car la Cour estime plus généralement que malgré la présence de l’ensemble des parties, le rapport d’expertise ne peut être exclusivement utilisé comme pièce par le juge du fond - Cass. civ. 2ème, 13 sept. 2018, n° 17-20009) admet, dans le cas où les opérations d’expertise amiable ont été diligentées en présence de toutes les parties, qu’elles se sont déroulées de façon contradictoire et que les parties n’ont pas émis de réserves quant à l’avis de l’expert sur les responsabilités, alors qu’elles en avaient émises sur le montant des dommages, que le juge du fond puisse se fonder exclusivement sur un tel rapport (Cass. civ. 3ème, 29 oct. 2003, n° 01-11004).

Il paraît donc intéressant, si les parties le souhaitent, d’organiser une expertise amiable dans les conditions d’une expertise judiciaire. Le cadre d’une telle expertise amiable doit néanmoins être clairement défini entre les parties afin d’éviter toute impartialité de l’expert.

Un expert choisi par les parties sur une liste d’expert judiciaire reconnu sera le meilleur choix.

L’expertise privée conserve donc toute sa place.