Attention à la clause de cession forcée dans le pacte d’actionnaires
L’arrêt de la Cour de cassation en date du 27 novembre 2024, bien qu’il ne soit pas publié au Bulletin, est intéressant quant à l’application de la clause de cession forcée (drag along) présente dans un pacte d’actionnaires (ou d’associés).
Dans cet arrêt, un pacte d’actionnaires liait 3 actionnaires d’une SAS et prévoyait une clause de cession forcée, intitulée « obligation de cession ». Cette clause stipulait qu’en cas d’offre ferme d’acquérir la totalité des actions de la société, faite par un associé ou par un tiers, les actionnaires s’engageaient à céder leurs titres à l’acquéreur.
Cette clause prévoyait également que « chacun des associés reconnaît que les dispositions qui précèdent valent promesse de vente de ses titres »
En 2013 un des actionnaires de la SAS (l’« Associé A ») a proposé à ses coassociés de racheter la totalité de leurs titres pour un montant de 2.000 euros chacun. L’un des coassociés a refusé l’offre (l’« Associé B »), conduisant l’Associé A à faire valoir la clause « obligation de cession » du pacte et à imposer à l’Associé B une cession forcée de ses actions.
L’Associé B a assigné la SAS et ses coassociés en nullité de la cession forcée en invoquant l’absence de détermination du prix de cession dans le pacte d’actionnaires.
Cette demande a été rejetée par les juges de première instance et par la Cour d’appel qui a retenu d’une part qu’il n’y avait de promesse de vente nécessitant que le prix de cession des actions soit déterminé ou déterminable ; et d’autre part que l’absence de détermination du prix n’affectait pas la validité du contrat. La Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel au visa de l’article 1134 du Code civil (dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016) pour dénaturation d’une stipulation claire et précise, car le pacte d’actionnaire énonçait, sans équivoque, que la clause de cession forcée valait promesse de vente.
En conséquence, pour la Cour de cassation, la Cour d’appel aurait dû respecter cette qualification et en déduire que l’absence de détermination du prix avait affecté la validité de l’accord des parties prévu dans à la clause « Obligation de cession » du pacte.
La Cour de cassation a profité de cet arrêt pour rappeler un principe bien établi : une promesse de vente n’est valable que si elle comporte un prix déterminé ou les éléments permettant de le déterminer, et qu’à défaut nous ne sommes pas en présence d’une promesse de vente.
Toutefois, en pratique et dans la majorité des cas, les clauses de cession forcée renvoient à un prix qui est celui de l’offre déclenchant le jeu de la clause, souvent doublé de la possibilité de solliciter une expertise de prix sur le fondement de l’article 1843-4 du Code civil ou de l’article 1592 du même code.
Il est difficile de comprendre pourquoi l’arrêt commenté considère que la clause litigieuse ne permettait pas la détermination du prix ; sauf à considérer, pour la Cour de cassation, qu’il ne serait pas acceptable que le prix imposé à l’associé obligé de sortir soit déterminé par référence à celui auquel l’associé invoquant la clause sort. Une telle interprétation mettrait en danger les clauses drag along prévues dans les pactes.
Néanmoins, dans l’arrêt commenté, il existait une particularité qui pourrait expliquer la position de la Cour de cassation. En effet, la clause litigieuse prévoyait que la cession forcée pouvait intervenir même dans la situation où c’est un associé (et non pas un tiers) qui demande à racheter la totalité des actions de la société. Or, dans ce cas, une seule partie fixe le prix de manière unilatérale et la jurisprudence considère alors qu’il ne s’agit pas d’un prix déterminable et qu’il ne peut y avoir vente (Cass.com, 21 septembre 2022 n°20-16.994 jugeant que le prix de la vente « doit être déterminable et ne pas dépendre de la seule volonté d’une des parties ni d’un accord ultérieur entre elles »).
En conséquence, le fait que l’Associé A ait forcé l’Associé B à vendre ses actions à un prix qu’il (l’Associé A) a unilatéralement fixé, a conduit la Cour de cassation à considérer que le prix de cession n’était pas déterminé ou déterminable et que l’accord des parties, à savoir que la cession forcée vaut promesse de vente, n’existait pas. C’est ainsi que la cession forcée des actions détenues par l’Associé B encourait la nullité.
Il s’agit d’un nouvel arrêt qui nous confirme l’importance de la rédaction des clauses statutaires ou d’un pacte d’associés ; chaque terme employé peut avoir des conséquences que les parties n’avaient pas initialement envisagées.