Actionnaire salarié : attention aux clauses de bad leaver
Les clauses de bad leaver, insérées dans les pactes d’associés, incarnent l’intersection complexe entre le droit du travail et le droit des sociétés. Ces clauses, qui concernent souvent les salariés actionnaires, visent à assurer leur implication dans l’entreprise tout en permettant un contrôle accru de l’actionnariat. Mais lorsqu’elles sont mal rédigées, elles deviennent un terrain fertile aux contentieux.
En théorie, ces clauses imposent aux salariés quittant l’entreprise dans des conditions spécifiques – comme une démission ou un licenciement pour faute grave – de céder leurs parts à un prix inférieur à leur valeur de marché. Leur objectif ? Fidéliser les collaborateurs tout en préservant l’équilibre actionnarial. Cependant, leur mise en œuvre soulève des questions de compatibilité avec les principes fondamentaux du droit du travail.
Pour mémoire, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 12 mai 2022, avait invalidé une clause de bad leaver stipulant la cession des actions à leur valeur nominale en cas de licenciement pour faute grave. Les juges ont estimé que cette clause constituait une sanction pécuniaire déguisée, prohibée par l’article L. 1331-2 du Code du travail. En effet, toute mesure financière imposée à un salarié, et fondée sur une appréciation disciplinaire de son comportement, est illégale. Cette décision s’inscrit dans la lignée des protections spécifiques du droit du travail, visant à éviter les abus de pouvoir de l’employeur.
Au vu de la jurisprudence sur ce sujet, et notamment un arrêt de la Cour de cassation du 7 juin 2016, il semblerait qu’une clause de bad leaver n’est pas une sanction pécuniaire lorsqu’elle s’applique à toutes les hypothèses de départ, disciplinaires ou non. En conséquence, les rédacteurs de ces clauses doivent redoubler de vigilance. Une rédaction équilibrée, qui englobe l’ensemble des hypothèses de départ et garantit l’absence de déséquilibre significatif entre les parties, est essentielle.
Plus largement, ces débats mettent en lumière un conflit structurel entre deux branches du droit. Le droit des sociétés, guidé par la protection de l’intérêt social et l’efficacité économique, s’oppose parfois au droit du travail, dont la priorité est la sauvegarde des droits des salariés. Les entreprises doivent donc naviguer avec précaution entre ces deux régimes pour éviter les litiges.
En conclusion, la clause de bad leaver, bien qu’utile pour protéger l’actionnariat, reste une arme à double tranchant. Une attention particulière à sa rédaction est nécessaire pour concilier les attentes des employeurs et les droits des salariés, tout en sécurisant juridiquement l’ensemble des parties.