Directive E-commerce

La qualification juridique d’une plateforme d’intermédiation

Le 3 décembre 2020, la CJUE a eu l’occasion de se prononcer sur le statut juridique des plateformes en ligne : CJUE 3 décembre 2020 C-62/19 Star Taxi App SRL c/ la Municipalité de Bucarest

Cet arrêt est à mettre en perspective avec l’arrêt intervenu un an auparavant CJUE 19 décembre 2019 Airbnb Ireland C390/18, ou encore l’arrêt CJUE 10 avril 2018 Uber C-320-16.

Depuis 2017 et l’arrêt Uber, la CJUE est confrontée à cet objet nouveau qu’est la plateforme numérique et à la qualification juridique que cet objet doit revêtir. Une plateforme juridique doit-elle être qualifiée d’objet de la société de l’information relevant de la directive 2000/31 ou est-elle à lier à la qualification du service auquel elle est rattachée ?

Cela dépend, répond la CJUE.

Ainsi, le 10 avril 2018 la CJUE affirmait que le service de plateforme mise en relation avec des chauffeurs fourni par Uber relevait des services du domaine des transports – et non des services de la société de l’information puisque « le service d’intermédiation fourni par la société concernée était lié indissociablement à l’offre de services de transport urbain non collectif créée par celle-ci (…) [et que cette] société fournissait une application sans laquelle ces chauffeurs n’auraient pas été amenés à fournir des services de transport, et les personnes désireuses d’effectuer un déplacement urbain n’auraient pas eu recours aux services desdits chauffeurs ».

Toutefois, 19 décembre 2019, la CJUE conclura à l’inverse concernant la plateforme Airbnb.

Dans cet arrêt, la CJUE rappelle que si un service d’intermédiation satisfait aux conditions de la directive 2000/31, il constitue un service de la société de l’information distinct du service subséquent auquel il se rapporte. La CJUE indique qu’il n’en va autrement que s’il apparaît que ce service d’intermédiation fait partie intégrante d’un service global dont l’élément principal est un service relevant d’une autre qualification juridique.

Au regard du service fourni par Airbnb, la CJUE estimait que la plateforme était dissociable du service global d’Airbnb. Plus spécifiquement, la CJUE relevait :

  • Que ce service ne tend pas uniquement à la réalisation immédiate de telles prestations mais consiste pour l’essentiel en la fourniture d’un instrument de présentation et de recherche des logements mis à la location, facilitant la conclusion de futurs contrats de location ;
  • Qu’un service d’intermédiation tel que celui fourni par Airbnb n’est aucunement indispensable à la réalisation de prestations d’hébergement, les locataires et les loueurs disposant de nombreux autres canaux à cet effet ;
  • Qu’aucun élément du dossier n’indiquait qu’Airbnb fixerait ou plafonnerait le montant des loyers réclamés par les loueurs ayant recours à sa plateforme.

Afin d’éclaircir encore davantage les éléments distinctifs entre le cas Airbnb ou le cas Uber, la CJUE rappelait très clairement que « Uber exerçait une influence décisive sur les conditions de la prestation de transport des chauffeurs non professionnels faisant usage de l’application mise à leur disposition par cette société » et que, au contraire, « les éléments visés par le juge de renvoi et rappelés au point 19 du présent arrêt ne permettent pas d’établir qu’Airbnb exerce une telle influence décisive sur les conditions de prestation des services d’hébergement auxquels se rapporte son service d’intermédiation, dès lors, notamment, qu’Airbnb ne détermine ni directement ni indirectement le prix des loyers réclamés, ainsi que cela a été constaté aux points 56 et 62 du présent arrêt, pas plus qu’elle ne procède à la sélection des loueurs ou à celle des logements proposés à la location sur sa plateforme ».

En synthèse, pour la CJUE, afin de ne pas être considérée comme faisant partie intégrante d’un service globale, une plateforme ne doit pas exercer d’influence sur le service rendu et ne doit pas être indispensable à l’exercice du type de service rendu.

La CJUE a eu l’occasion de préciser encore sa grille d’analyse par ce nouvel arrêt intervenu le 3 décembre 2020. Le service proposé était très similaire à la plateforme Uber et on aurait pu s’attendre à des conclusions de la CJUE similaires également. Or, il n’en est rien, bien que similaire, la plateforme n’est pas identique à celle d’Uber.

En l’espèce, la société Star Taxi App, exploitait une application éponyme mettant en relation directe les clients de taxi, avec les chauffeurs de taxi. L’application permettait de faire apparaître les chauffeurs disponibles pour effectuer la course souhaitée. Le client pouvait alors choisir son chauffeur au sein de cette liste sur la base de commentaires et des notes attribués.

De leur côté, les chauffeurs de taxi avaient conclu des contrats de fournitures de service avec la plateforme pour y être référencés, mais ne sont donc pas sélectionnés par la plateforme.

La société Star Taxi App ne transmettait ni les réservations aux chauffeurs de taxi ni ne fixait le prix de la course, lequel était versé directement au chauffeur.

Par ailleurs, le Conseil général de la Municipalité de Bucarest, de son côté, a adopté une réglementation relative au « dispatching ».

Le dispatching est l’activité connexe au transport par taxi, consistant à recevoir par téléphone ou par d’autres moyens les commandes des clients et à les transmettre au chauffeur de taxi au moyen d’un émetteur-récepteur radio.

La définition du dispatching a été étendue afin que soit soumise à autorisation préalable l’activité de dispatching de même nature effectuée au moyen d’une application informatique ainsi que pour les services de dispatching pour tous les taxis des transporteurs autorisés.

La société Star Taxi App n’a pas respecté cette réglementation et s’est donc vu infliger une amende.

La société Star Taxi App a saisi le Tribunal de Bucarest en contestation de cette décision, estimant ne pas être soumise à ce régime et être qualifié de service de la société de l’information lequel ne peut être soumis à un régime d’autorisation préalable ou à toute autre exigence ayant un effet équivalent en vertu de l’article 4 de la directive 2000/31.

Par question préjudicielle, il a donc été demandé à la CJUE si un service consistant à mettre en relation directe, au moyen d’une application électronique, des clients avec des chauffeurs de taxi, constitue un service de la société de l’information et si la décision de la Municipalité de Bucarest s’appliquait à elle.

Pour commencer, la Cour constate que :

  • Le service est fourni contre rémunération (le chauffeur paie pour y être référencé) ;
  • Le service est fourni à distance et par voie électronique ;
  • Le service est fourni à la demande individuelle des destinataires de celui-ci.

Dès lors, le service en cause rempli les conditions de l’article 1 paragraphe 1 sous b) de la directive 2015/1535 et est donc considéré comme un service de la société de l’information au sens de la directive 2000/31.

La question subsistante était, ce service de la société de l’information doit il être rattaché à un service global (arrêt Uber) ou peut-il en être dissocié (arrêt Airbnb) ?

La Cour constate que selon les caractéristiques du service Star Taxi App, ce dernier ne saurait être assimilé au service global du domaine des transports.

Pour ce faire, la Cour se base sur les éléments suivants :

  • Le service fourni par Star Taxi App met en relation de personnes qui souhaitent effectuer un déplacement urbain uniquement avec des chauffeurs de taxis autorisés dont l’activité préexiste et pour lesquels ledit service d’intermédiation ne constitue qu’une modalité parmi d’autres de captation de la clientèle ;
  • Le prestataire ne sélectionne pas les chauffeurs de taxi ;
  • Le prestataire ni ne fixe, ni ne perçoit le prix de la course ;
  • Le prestataire n’exerce pas de contrôle sur la qualité du service de taxi.

Il résulte de ces faits que le service fourni par Star Taxi App ne fait pas partie intégrante d’un service global, dont l’élément principal serait la prestation de transport.

La Cour confirme ainsi sa jurisprudence Airbnb quant aux critères appliqués. Ce n’est donc pas le domaine d’intervention qui guide la réflexion des juges mais bien le fonctionnement concret de la plateforme et l’intervention, ou non, de la société éditrice de la plateforme.